Ce recueil de quatre nouvelles a tout pour plaire. Imaginez un auteur contemporain « médecin-écrivain » au même titre que Anton Tchékhov et Mikhaïl Boulgakov par exemple, ayant retenu les leçons stylistiques de ses aïeuls tout en s’en affranchissant, y rajoutant quelques scènes absurdes dignes de Nikolaï Gogol, le tout dans une Russie actuelle corrompue, et vous obtenez un mets délicat et fort appétissant.
Des descriptions minutieuses de villes de province qui s’occidentalisent au climat antisémite dont le pays ne s’est jamais départi, Maxime Ossipov raconte sa Russie, par ses yeux de médecin empathique (encore un point commun avec Tchékhov) qui écoute les souffrances de ses patients, en y agrémentant de nombreuses références à la littérature, surtout la russe classique. Que demander de plus ?
Le plus, ce sont ces petites notes historiques, l’ombre de Marina Tsvétaïeva, le désespoir par l’humour, toujours recommencé. Ossipov est doté d’une profonde conscience dans ses descriptions de portraits souvent abîmés, il fait pétiller ses scènes, sait les rendre burlesques malgré la noirceur ambiante.
La deuxième nouvelle, « Luxemburg » (une ville de province à l’est de Moscou, à ne pas confondre avec le pays européen), qui donne son nom au recueil et se présente plutôt comme une novella, nous permet de suivre Sacha, le narrateur trois fois baptisé, traducteur et intellectuel, au nom à connotation juive alors qu’il ne l’est pas ou ne pense pas l’être, Sacha dont le père avait inventé une façon de cacher des livres interdits dans le caveau d’un cimetière (les cimetières sont quasi omniprésents dans tout le recueil). La famille de Sacha est encore aujourd’hui victime de l’antisémitisme et des tombes sont même profanées. Pourtant, « Les juifs sont horribles, seuls tous les autres sont pires ». La violence va crescendo, les juifs envisagent de quitter le pays pour simplement sauver leur peau et celle de leurs proches.
Si les deux dernières nouvelles sont bien plus brèves, elles rajoutent une touche locale fort intéressante. Maxime Ossipov est de ces auteurs russes qui ont su puiser à la source, celle des aînés, mais qui l’ont remodelée pour la rendre actuelle, faire vivre ses actions dans un pays contemporain, qui comporte pourtant des similitudes avec l’ère stalinienne et même tsariste. Il emprunte à Dostoïevski pour rendre ses propos plus lumineux, plus pétillants. Il dépeint à son tour une Russie plongée dans la corruption, la haine, l’individualisme, la perte de repères. En tant que médecin, il se fait parfois légiste pour tenter de comprendre d’où vient le mal.
« Luxemburg », recueil de nouvelles écrites entre 2017 et 2021, est à la fois un diagnostic et une quête, un regard vers l’Occident sans superlatifs. Du soupçon au remède, le chemin est tortueux. L’exil peut être une solution, un but à atteindre. C’est d’ailleurs le choix que fera Maxime Ossipov après l’invasion russe en Ukraine, allant s’établir quelque part en Europe Occidentale.
« Luxemburg » qui vient de paraître est une nouvelle pierre à l’imposant édifice littéraire russe, son auteur n’a pas à rougir des « classiques » qui ont fait tellement d’ombre aux diverses descendances, ce qui est encore vrai aujourd’hui. C’est le quatrième livre de Ossipov publié en France. Comme les précédents c’est par le soin des éditions Verdier et de leur collection Slovo qu’il nous est divulgué, il est à déguster bien calé dans un gros fauteuil un brin défoncé par les âges.
(Warren Bismuth)

"le désespoir par l’humour" : je crois que c'est vraiment dans l'âme russe...
RépondreSupprimerMerci de me rappeler qu'il faut que je découvre cet auteur. Et puis une novella avec le prénom de mon fils pour le personnage principal, ça le fait :-) (oui, je sais, ce n'est pas très littéraire comme raison).
Ah, Sacha ! Prénom très usité dans la littérature russe ! Et ce recueil pourrait fort te plaire pour une raison plus littéraire.
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