Dès le quatrième de couverture, on sait
que ce livre ne sera pas de tout repos avec cette phrase « Ici, on a tous du sang indien et quand ce
n’est pas dans les veines, c’est sur les mains », ce Taqawan risque
d’être assez violent. Mais d’ailleurs qu’est-ce que
« Taqawan » ? C’est le saumon qui revient dans ses eaux natales
pour la première fois.
En 1981 éclatent des émeutes sanglantes au
Québec dans la réserve indienne de Restigouche après que les flics ont
subtilisé les filets de pêche des autochtones Mig’Maq (tribu amérindienne) pour
imposer un quota de pêche à leur population. C’est là qu’une jeune adolescente,
Océane disparaît. Horrifié par ce qu’il est en train de vivre, l’agent de
conservation de la faune Yves Leclerc démissionne afin de prêter main forte aux
amérindiens. Il retrouve Océane et la prend sous son aile, elle a été violée à
plusieurs reprises.
Le gouvernement provincial québécois
semble jouer sur deux tableaux : décidé à contrer le gouvernement fédéral
canadien mais usant de pressions envers les indiens, pourtant habitants (et
ancêtres !) de la région. Le territoire québécois est alors sous tutelle
du gouvernement canadien.
Ce livre est la fois le parcours de
citoyens plus ou moins bien traités, mais aussi un essai historique sur la
colonisation des blancs contre les autochtones, leurs intimidations pour
« civiliser » les anciens peuples implantés sur les terres, leur
faire découvrir la loi du marché, le capitalisme. L’apothéose survient donc
lorsque les autorités imposent aux amérindiens de vendre désormais le fruit de
leur pêche, en particulier le saumon (personnage primordial du roman). Comme
ils ont jadis exterminé en masse les bisons pour laisser les mêmes indiens
crever de faim, les blancs « civilisés » s’attaquent désormais au
génocide du saumon, nourriture pourtant essentielle des autochtones.
Yves va croiser le chemin de Caroline,
institutrice française échouée au Québec. D’autres personnages touchants vont
émailler ce roman qui d’ailleurs n’en est pas tout à fait un. En effet,
derrière la trame fictionnelle pointe allègrement un essai historique où
l’auteur revient par exemple jusqu’en 1497, date à laquelle CABOT a ramené les
premiers amérindiens en Europe.
Tous les chapitres sont très courts et
percutants, vifs. Certains ne s’intéressent qu’au saumon et nous apprennent
avec passion et affection son mode d’existence, d’autres se focalisent sur les
rites autochtones, d’autres encore sont plus politiques : « Il a fallu attendre la fin de la seconde
guerre mondiale pour que le Canada revoie les lois interdisant aux autochtones
de pratiquer des cérémonies comme le potlatch, la danse du soleil ou les
pow-wow. Jusqu’en 1960, ceux qui voulaient voter aux élections fédérales
devaient renoncer à leur statut d’indien. Ici au Québec, ils n’ont eu le droit
de vote qu’en 1969 ».
Attention, certains chapitres ayant trait
à la capture d’animaux par d’ingénieux pièges peuvent s’avérer assez
traumatisants. Dans ce court roman nous avons là une mixture fort digeste d’un
sujet méconnu en France : comment le Québec a traité les amérindiens au
cœur de ses réserves tout en se liguant contre le gouvernement fédéral. Et là
nous ne parlons pas du XVe siècle mais bien de la seconde moitié du XXe,
c’est-à-dire hier matin. Inutile de dire que l’on apprend des tas de choses en
seulement 200 pages. Et si ce roman peut être également classé dans la
catégorie « polar », ce n’est pourtant pas l’étiquette qui saute immédiatement
aux yeux. Le tout vient de sortir en cette année 2018 chez le superbe Quidam
Editeur.
(Warren
Bismuth)
Je remercie monsieur Éric Plamondon auteur de Taqawan de m'avoir permit de contribuer à ce roman par des dictons et autres textes tirés de mon site Mi'kma'ki http://www.astrosante.com/traduction_nessutmasewul.html
RépondreSupprimerMerci aussi aux autres collaborateurs, Alanis Obomsawin (textes tirés du documentaire « Les événements de Restigouche »), Danielle Cyr et Marie-Bernard Young (pour l'orthographe mi'kmaw), Earle Lockerby (textes tirés de l'article « Ancient Mi'kmaq Customs; A Chaman Revelations» (The Canadian Journal of Native Studies, vol. XXIV, no 2, 2004), René Levesque (extrait de la conférence de presse du 25 juin 1981).