Et si Agatha CHRISTIE s’était trompé
d’assassin dans son célèbre polar « Dix petits nègres » (1939) ?
C’est la thèse osée et fantasque énoncée par Pierre BAYARD dans son nouvel
ouvrage. « Osée » est bien le terme adéquat tant BAYARD est assez
culotté pour s’attaquer à un mythe de la littérature policière tout comme à son
auteure. Gonflé le type !
BAYARD n’y va pas à la légère, et la
présente chronique va être difficile à articuler tant j’ai conscience qu’il
m’est impossible de vous révéler quoi que ce soit, ne pas vous mettre, ne serait-ce
que de loin, sur la piste de la solution évoquée par BAYARD ?
Diversion s’il vous plaît ! BAYARD
écrit, certes ! Mais il est aussi professeur de littérature et psychanalyste,
ces deux casquettes étant très reconnaissables dans ce bouquin. Il n’évoque pas
que Agatha CHRISTIE dans son essai, mais de nombreux auteurs de romans
policiers, dont certains spécialistes de l’univers clos et enfermé (le lieu où
se déroule « Dix petits nègres » est une île, espace clos), il donne
d’ailleurs envie de les découvrir ou de les redécouvrir. Il a minutieusement
référencé des ouvrages traitant du même sujet et proposant des solutions
différentes, tous antérieurs au chef d’œuvre d’Agatha CHRISTIE, pour bien
insister sur le fait qu’elle a en quelque sorte pris le train en marche et a pu
s’en inspirer. BAYARD prend le contre-pied sur à peu près tout, en revenant
même sur des classiques de Agatha CHRISTIE elle-même, les comparant aux
« Dix petits nègres » afin d’étayer sa version, la version de BAYARD
s’entend.
Le psychanalyste fait aussi des siennes.
Après avoir proposé une sorte de floutage du lectorat par de possibles
illusions d’optique, il enfonce le clou avec les biais cognitifs, coupables de
détourner le lectorat du vrai problème qui pourtant lui crève les yeux quant à
l’enquête proprement dite.
Le plan de l’essai de BAYARD est fort bien
huilé : Enquête, contre-enquête, aveuglement, désaveuglement. Pierre BAYARD
parle à la première personne du singulier, mais ce n’est pourtant pas BAYARD
Pierre qui parle. Ici c’est le (ou la, BAYARD est très scrupuleux à ne dévoiler
aucun indice sur le ou la criminel.le) meurtrier qui écrit, qui annonce
calmement, minutieusement, ce qui s’est effectivement déroulé, qui explique en
détails et de manière implacable que Agatha CHRISTIE s’est bel et bien plantée
dans son bouquin, que l’assassin se cache ailleurs, que nous le/la connaissons,
qu’en ayant été un peu plus concentrés sur notre lecture, nous aurions pu le/la
découvrir nous-mêmes.
Ce livre est à la fois passionnant et très
drôle. Très drôle par le ton, certaines anecdotes, passionnant pour tout ce
qu’on y apprend. On se surprend à aller voir sur Internet une vidéo à propos
d’illusions d’optique, dont le lien est proposé au beau milieu de l’ouvrage,
BAYARD veut un lectorat actif.
Attention, même si c’est drôle, ce n’est
pas précisément un bouquin de détente à lire entre deux trains, c’est même tout
le contraire, certains passages requièrent une concentration optimale, peuvent
même s’avérer un poil ardus, mais on a tellement envie de savoir quel est ce
diable d’assassin de l’île du Nègre version BAYARD que l’on ne souffre pas des difficultés,
et il faut bien admettre que parvenus à la dernière page, on réalise que l’on
vient de méchamment se régaler les sens. BAYARD sait nous tenir en haleine (je
l’avais déjà remarqué lors de précédentes œuvres), il possède ce talent de ne
plus nous lâcher, de nous faire poser des tas de questions qui vont hanter nos
nuits. Cette « Vérité » sortie fin 2018 chez Minuit est succulente de
bout en bout, apprendre en s’amusant est l’une de ces vieilles recettes qui a
depuis longtemps fait ses preuves. Ruez-vous sur ce bouquin, vous devriez
prendre plaisir à redécouvrir ces satanés « Dix petits
nègres » !
(Warren
Bismuth)
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