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mercredi 23 janvier 2019

Bohumil HRABAL « Une trop bruyante solitude »


Bien curieux petit roman que cette « Trop bruyante solitude » de l’écrivain tchèque Bohumil HRABAL (1914-1997) dont j’ai découvert l’existence grâce au très joli « L’ultime parade de Bohumil Hrabal » du grand Jacques JOSSE, ce dernier paru en 2016 chez La Contre Allée. Dans son livre, JOSSE insiste sur ce roman aujourd’hui présenté en nos colonnes, le présentant comme une relique, un mal nécessaire et un chef d’oeuvre. Écrit en 1975, ce bouquin sort en 1976 en Tchécoslovaquie sous forme de samizdat (dans la clandestinité). HRABAL a régulièrement été atteint par la censure, considéré comme dangereux aux yeux du pouvoir communiste.

Hanta, le personnage central de cette histoire, travaille dans un atelier de destruction de papiers en tout genre depuis 35 ans à Prague : livres, toiles de peintres, journaux, emballages de boucheries souillés de sang, etc. Il utilise une presse pour son travail dans une cave infestée de rats et de souris. Seulement, il voit passer beaucoup de livres près d’être pilonnés, il décide d’en sauver quelques-uns, lui l’illettré. Comme les papiers détruits forment de grosses balles, il décide de placer au centre, en leur noyau, un livre indemne, comme un coeur qui bat. Un bouquin par grosse boule, comme un livre caché qui pourra être miraculeusement retrouvé plus tard pour continuer à circuler, on pense ici bien sûr au « Fahrenheit 451 » de Ray BRADBURY. Devant sa presse, Hanta tue le temps en vidant force cruches de bière, sorte d’élixir lui faisant tenir le coup, puisqu’il magnifie ces bouquins que pourtant il détruit, tout comme il en détruit l’encre par des procédés chimiques, rendant impossible l’héritage tant désiré. Parfois il enrobe les balles de toiles de peintres, pour les habiller, les rendre plus jolies.

Hanta chérit « ses » livres, leur propose une deuxième vie, une résurrection (on croise régulièrement les visages de Jésus et Lao-Tseu), il en garde d’ailleurs une belle quantité par-devers lui. Seulement, son monde va s’écrouler, ce monde où il allait à son rythme, lent (provoquant le mépris de son supérieur), ce monde onirique provoqué par des vues de couvertures de livres, un monde certes cloisonné mais figure d’un certain espace sécurisé. En effet, une presse hydraulique géante va remplacer celle de son atelier, sur laquelle il suffira d’actionner quelques leviers et boutons pour accomplir en un temps record une tâche bien supérieure que celle de Hanta jadis. De nouveaux ouvriers, jeunes et dénués de sentimentalisme pour le monde de la lecture, vont à leur tour actionner la machine infernale sans même penser à leurs gestes. Désespéré, Hanta va mettre en scène sa propre mort, comme HRABAL a peut-être mis la sienne propre en scène.

Dans ce livre, le monstre totalitaire est plus que sous-jacent. Il côtoie pourtant les anges, les anciennes amours du narrateur Hanta. Ce roman est un long monologue, fait de rires et de désillusions, de farces et de désenchantements. HRABAL dépeint le système communiste par allégories, l’absence de liberté, le productivisme à outrance, l’impossibilité d’aimer, l’individualisme provoqué par la folie du système en place. Il se rapproche beaucoup de l’atmosphère de l’un de ses maîtres et concitoyens, KAFKA. L’influence d’un ORWELL de « 1984 » ou d’un ZAMIATINE de « Nous » est très prégnante dans cette espèce de bureaucratie contrôlant tout. Quant aux passages plus absurdes, ils semblent extirpés de pages de Samuel BECKETT. Le rendu est profondément dystopique, et sa brièveté le rend encore plus puissant et saisissant, Hanta pouvant être vu comme une sorte de résistant à la machine totalitaire. Il y laissera sa peau.

« Une trop bruyante solitude » est typiquement le genre de bouquins où l’on ne comprend pas tout, par son immense richesse, ses images nombreuses, un bouquin duquel on ressort secoués et emplis de questionnements. Il est indéniable qu’une nouvelle lecture sera nécessaire, elle permettra d’entrouvrir de nouvelles portes dans un monde du plausible.

(Warren Bismuth)

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