Léopold et son père Gildas sont employés
dans une usine du nord. Celle-ci va fermer, définitivement. Alors les salariés
se mettent en grève. À leur tête Gildas, syndicaliste aguerri. Il mène la
préparation des négociations. Rencontre avec le patronat sous une pluie
battante alors que les grévistes attendent le renfort de la Fédération
Atlantique. Les tractations échouant, Gildas décide d’entamer une grève oui,
encore, mais de la faim cette fois-ci, dans l’enceinte même de l’usine. Dans
l’équipe des grévistes point la figure tendre et pourtant effacée d’Ahmed,
algérien de 50 ans, toujours près à rendre service. Un cœur pur celui-ci.
Parallèlement, Léopold, trompettiste, doit
répéter avec son groupe de jazz en vue d’un concert important dans une salle de
Lille, programmé pour les jours à venir. Gildas est contre le fait que son fils
s’embarque dans une passion musicale, sa femme, la mère de Léopold jouait du
piano, elle est morte. La tension est vive entre un père diminué par sa grève
de la faim, et son fils semblant surtout préoccupé par la préparation du
concert.
C’est alors qu’Ahmed se volatilise et qu’une
salariée de l’usine vient de se suicider. Léopold est de plus en plus tiraillé
entre la grève, son père, son groupe, l’employée décédée et la disparition
d’Ahmed, son ami.
Dans ce bref roman tout en intimité et en
positionnement social, l’écriture est profondément orale et poétique, les
dialogues sont imbriqués dans la narration, donnant cette homogénéité propre à
CHOPLIN. Nous pouvons suivre étape par étape les négociations syndicales,
l’attente, l’échec, la décision du père, l’ambivalence du fils, tout ceci sur
fond de racisme et de journaux locaux ne s’intéressant au sort de Gildas qu’aux
premières heures. Nous croisons des personnages originaux, taiseux, comme ce
retraité de l’usine, venant pourtant encore tous les jours y faire une partie
d’échecs (encore l’échec !).
À l’un des anciens qui lui demande pourquoi
à son avis les plus vieux sont encore dans la lutte, Léopold répond « C’est pour moi et les jeunes comme moi que
vous êtes là. Pour qu’on ait du boulot plus tard. Et qu’on se fasse pas
toujours presser le citron par les patrons et les actionnaires ».
Ce roman dépeint en quelque sorte la fin
d’un monde ouvrier, ballotté entre le besoin de travailler et le poids de la
modernité entraînant les licenciements et la faillite. CHOPLIN tient en
haleine, de manière épurée où chaque mot sonne et résonne. Il m’avait déjà
conquis à plusieurs reprises, notamment dans « Radeau », « Le
héron de Guernica » ou encore « La nuit tombée », sans oublier
cet étonnant recueil de nouvelles « Les gouffres » où l’ambiance
savait se faire kafkaïenne. Il récidive avec brio dans ce « Cour nord »
sorti en 2009 aux éditions du Rouergue.
Antoine CHOPLIN a reçu le magnifique prix « Loin du Marketing » l’an dernier, en 2019. Il faut dire que son écriture est sensible et nous embarque avec aisance et sans trémolos dans une atmosphère unique où parfois le petit monde rencontre la grande Histoire. Il est à coup sûr lui aussi un grand, a écrit une vingtaine d’ouvrages dans lesquels il sait parfaitement varier les thèmes et les plaisirs. Son œuvre est ample mais toujours empreinte de cette pudeur intime propre à l’auteur. Vous l’aurez compris : ce serait dommage de passer à côté d’un tel écrivain.
(Warren Bismuth)
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