VERCORS et son ami d’alors (ça ne va pas durer) Pierre de LESCURE ont fondé les éditions de Minuit de manière clandestine dès 1941. Il faut cependant attendre février 1942 pour que sorte la première publication, une nouvelle de VERCORS lui-même, intitulée « Le silence de la mer » (texte qui a fait son chemin depuis). Près de deux ans plus tard paraît « La marche à l’étoile » du même auteur, toujours chez Minuit. Cette nouvelle sort précisément le 25 décembre 1943.
Elle suit un personnage, Thomas Muritz, de sa lointaine jeunesse en Hongrie à sa mort (pas tout à fait anodine, n’oublions pas que l’éditeur est clandestin et résistant sous l’occupation). Sa famille bilingue français-allemand, son père mort en 1878, son arrivée en France, à pied, son apprentissage de l’Histoire de France par les romans français du XIXe siècle, son oncle Béla, un turc.
Il y a les étoiles. Il a suivi les premières, celles du ciel, lorsqu’il est venu immigrer en France. Les suivantes, ce sont celles, jaunes, qui vont être cousues sur les vestes pour reconnaître publiquement les juifs pendant la deuxième guerre mondiale. Thomas en portera une. Avant cela, dès son arrivée en France, il fait connaissance avec un couple, discussions autour des notions de liberté et de justice. Et puis Paris. Paris la ville de ses rêves, qu’il rejoint, et particulièrement le pont des Arts.
Ce Thomas Muritz, c’est Louis BRULLER, et Louis c’est le père de Jean, ce Jean qui a pris le pseudo de VERCORS en 1941. C’est ici VERCORS qui écrit non pas une nouvelle classique mais une biographie succincte et romancée de son père. C’est aussi pour VERCORS une manière de rendre compte d’où lui est venu son intérêt pour la littérature. Et aussi une façon de remercier la France, celle qui a accueilli son aïeul, et pour laquelle il décide d’entrer en Résistance.
VERCORS rend hommage aussi bien à la France qu’à son père. Les courtes descriptions sont splendides et on les sent pleines d’émotion et de gratitude. Et au milieu, les réflexions, puissantes : « La passion est une terrible destructrice. Elle détruit dans la tête de qui la loge tout ce qui n’est pas son idée fixe. Elle fait une effroyable consommation d’impulsions et de concepts dont elle nourrit son insatiable cancer. Et quand, par fortune bonne ou mauvaise, elle vient à disparaître (comblée ou consumée), elle laisse dans la maison de qui l’a nourrie une vacance dévastée, et son hôte privé de désirs, hormis la soif de devenir esclave de nouveau ».
Texte émouvant dans lequel VERCORS n’en fait pas trop, se contentant de raconter sobrement le parcours d’un homme, son père, fuyant son pays, et qui vient se faire tuer pourtant dans celui qu’il a choisi, comme trahi par sa propre épouse. Car Louis BRULLER et la France, c’est une vraie histoire d’amour.
VERCORS est, avec ARAGON, le seul auteur qui verra deux de ses œuvres publiées par les éditions de Minuit clandestines. À la différence de certains des ouvrages de ses éditions présentés sur le blog, « La marche à l’étoile » est un texte facilement trouvable. Il a été réédité à maintes reprises, seul ou inclus dans des recueils de nouvelles, généralement jamais bien loin de son grand frère « Le silence de la mer ».
http://www.leseditionsdeminuit.fr/
(Warren Bismuth)
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