1985 en Irlande, Bill Furlong est le propriétaire d’un dépôt de bois, il livre également du charbon et du gaz. Né de père inconnu puis élevé à la rude par des parents de sa mère, il est aujourd’hui marié à Eileen et père de cinq filles. L’Irlande est alors en pleine récession, les licenciements nombreux, dans l’industrie notamment. Le pays s’apprête toutefois à célébrer les fêtes de Noël. Comme chaque année. Garder la tête haute, chercher les moments de bonheur. Bill doit aller livrer du bois dans une école professionnelle pour filles tenue par des religieuses.
« Furlong n’était pas enclin à s’appesantir sur le passé ; le passé lui semblait être quelque chose qui était arrivé à un autre, gardé derrière une porte bien fermée, dans son dos ». Pourtant le protagoniste principal va flancher après avoir poussé l’une de ces portes fermées, au sein de l’institution. De nombreux secrets y sont terrés.
Ce bref roman d’un peu plus de 100 pages bien aérées est un petit trésor dans son genre. Il évoque une période très particulière dans un pays exsangue, campe des personnages puissants dans des décors comme intemporels. L’écriture est limpide, sans ajouts inutiles, il en ressort une force en même temps qu’une certaine désillusion. Mais bien au-delà, ce récit dénonce les sévices continuels infligés à des femmes par d’autres femmes dans une sorte de cloître coupé du monde ou presque.
Claire KEEGAN sait dérouler son intrigue calmement, sans secousses, décrit des situations un peu à la manière d’un Thomas HARDY contemporain. Elle ne force pas le trait en présentant cette sinistre blanchisserie Magdalen (Irlande), fermée en 1996. De 10000 à 30000 femmes (les archives ayant été détruites, il est impossible d’avancer des chiffres plus précis) considérées comme perdues y travaillèrent telles des esclaves, beaucoup y sont mortes ou y ont perdu leurs enfants, certains de ces enfants furent vendus au dehors. Laverie dirigée d’une main autoritaire par l’Eglise catholique, elle était considérée comme une prison par les femmes y oeuvrant.
Le roman suit brièvement les traces de l’une de ces prisonnières, que même les voisins préfèrent ne pas connaître. Ce ne sont pas leurs affaires après tout, ces femmes vivant l’enfer au quotidien. Chacun chez soi et le Bon Dieu pour tous ! Les regards se portent ailleurs, là où ça ne sent pas la crasse, la misère et l’abus. Là où Dieu est témoin.
Voilà qui nous rappelle ce film réalisé en 2002 par Peter MULLAN, traitant de ces mêmes couvents. Un peu après le film, en 2013 pour être précis, l’Etat irlandais s’excusa pour toutes ces abominations. C’est sur cette information que se clôt le superbe ouvrage de Claire KEEGAN, délicat et révoltant à la fois, traduit par Jacqueline ODIN. Il est paru en 2020 chez Sabine Wespieser, avant même d’être édité dans sa langue originale.
(Warren Bismuth)
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