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dimanche 22 août 2021

Norman LOCK « Un fugitif à Walden »

 


Samuel Long, le narrateur de cette histoire, esclave noir, s’est échappé de la tyrannie de son maître en 1844 en tranchant sa propre main alors menottée. Aidé par les réseaux de « L’underground railroad » qui aidaient les noirs à circuler aux Etats-Unis pour s’acheminer vers un lieu situé plus au nord dans le pays, où ils pourraient commencer une nouvelle vie, le nord étant alors plus évolué socialement que le sud, Samuel arrive finalement aux abords du bord du lac de Walden dans le Massachussets, où Henry David THOREAU a alors décidé de vivre (il y résidera entre 1845 et 1847) durant l’été 1845.

À son contact, Samuel apprend la vie libre mais aussi l’immensité et la rudesse de la nature. Il y rencontre d’autres pionniers de l’écologie sociale, des transcendantalistes comme Ralph Waldo EMERSON ou Nathaniel HAWTHRONE, sans oublier le journaliste William GARRISON. Immédiatement, de longs dialogues s’amorcent sur le sens de la vie. Et bien sûr, le parcours de Samuel Long, esclave noir en fuite, n’a pas grand-chose à voir avec ceux de ses interlocuteurs directs.

Cependant, une amitié naît par delà les différences, même si Samuel est bien conscient que ses nouveaux amis ne peuvent pas ressentir certains épisodes de son propre vécu (quatre millions de noirs vivent alors aux U.S.A.). Walden, lieu légendaire, est ici scruté en détails. Mais le narrateur en profite pour dresser un tableau historique du combat antiesclavagiste aux Etats-Unis dans la première partie du XIXe siècle, portant le récit vers une veine historique.

Mais ce n’est pas tout. Fort de sa documentation, l’auteur Norman LOCK peint un portrait méticuleux de THOREAU, proposant une biographie certes romancée mais s’appuyant en partie sur les propres écrits de THOREAU, l’imagination fait le reste. THOREAU est ici vu par les yeux de ce héros malheureux, Samuel, qui n’hésite d’ailleurs pas à égratigner le personnage de THOREAU, du moins au début, puis un profond respect s’instaure, comme si les deux hommes s’étaient apprivoisés. Il relaie le discours anticolonialiste, antiesclavagiste de THOREAU, diversifiant ainsi sa pensée que nous pouvions imaginer avant tout écologique.

Ceci est une fiction. Ce Samuel n’a pas existé. Mais il est pourtant vivant dans ce roman, tel une personnification de l’esclavagisme du XIXe siècle, et si LOCK lui donne vie, c’est pour rendre plus ample son récit et mêler la fiction au cœur de l’histoire de Samuel : « Si je semble préoccupé de ma propre histoire, c’est que je la crois aussi nécessaire que celle de Henry que les fils de chaîne et de trame le sont à un tissage. Je ne suis pas mentionné dans son compte rendu du séjour qu’il fit dans les bois de Walden. Je fus sans importance dans son expérience. J’aurais peut-être gâché la construction de son récit. Qui sait quelles pensées traversent l’esprit d’un écrivain ? On se souviendra de Henry, alors que mes présents récits seront bientôt oubliés. En tout cas, je suis certain de ne pas avoir la moitié de son talent. Henry avait le génie de rendre monumentales les choses les plus banales. Sous sa plume, un gland prend les proportions du Taj Mahal. La mienne, je le crains, métamorphoserait le Taj Mahal en gland ».

Et pourtant, même si cette histoire n’existe que par l’imagination de son auteur, elle est crédible car agrémentée en permanence de nombreuses références historiques, que ce soit sur THOREAU ou plus globalement sur les Etats-Unis du milieu du siècle numéro 19. Les grandes envolées côtoient des passages très intimistes eux-mêmes entrecoupés de faits historiques ou de souvenirs. Les réflexions philosophiques abondent et donnent une épaisseur supplémentaire au récit. Le rendu est original et la dimension multiple.

« Un fugitif à Walden » est sorti récemment en cette année 2021 chez Rue de L’Echiquier et plus particulièrement dans sa superbe collection Fiction. Le roman est ici traduit par l’incontournable Brice MATTHIEUSSENT, traducteur historique de Jim HARRISON notamment. Ce livre évoque de nombreux sujets, dont les principaux sont la condition des noirs aux Etats-Unis, les premiers balbutiements de l’écologie social et du refus du capitalisme, mais c’est aussi un livre sur l’amitié, la sagesse et l’espoir.

https://www.ruedelechiquier.net/

(Warren Bismuth)

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