Il y eut 1968 et son mois de mai avec sa
soif de liberté entravée par les flics à la botte gaullienne. La Sorbonne, une
université métamorphosée en poudrière en plein Paris, lieu du déclenchement des
hostilités et de la pensée nouvelle, les manifs tous les jours, les violences,
le corps à corps, coups pour coups. Et puis un prof, celui que le narrateur a
eu, un cador, un éclaireur.
Ce professeur fait vibrer la mémoire, pas si
lointaine, un peu plus de deux décennies auparavant, la satanée guerre, les
décisions individuelles à prendre dans l’urgence, certaines peu reluisantes,
dans un genre de compromission avec l’ennemi, ce qui fut le cas de l’écrivain
Maurice SACHS, juif, homosexuel… et collabo ! Qui fera passer l’autrice
Violette LEDUC pour sa femme avant de crever littéralement dans un fossé comme
un chien. Tout ceci, le professeur le raconte à ses élèves, avec sa tolérance,
son ouverture d’esprit et son cerveau qui pétille.
Ce prof a connu SACHS, l’homme et pas
seulement le « vendu », et donne envie à ses élèves de découvrir sa
vie ainsi que celle de Violette LEDUC. C’est ce que fait le personnage
principal de ce récit, un homme, jeune et plein d’allant, dans une sorte
d’initiation à la vie, dans des amours nouvelles et tumultueuses tout en
calquant ses pas sur ceux de Violette, entre réflexions philosophiques et
littéraires.
Dans ce texte poétique, acéré, dynamique et
violent, Danielle BASSEZ fait se croiser la Grande Histoire avec la petite,
dans une maestria des mots stupéfiante. « De quoi aviez-vous peur ? De la conscience. La vôtre. C’est elle
qui vous serrait la gorge, vous acculait au sacrifice, renonce, renonce, bats
ta coulpe, tua culpa, tua culpa, coupe-toi un membre, châtre-toi, et si ta
langue est source pour toi de péché, arrache-la, et si tes yeux sont pour toi
source de tentation, crève-toi les yeux, si ta vie est souillure, couvre ton
front de terre, enfouis-toi, disparais, ta seule existence est une tache sur la
face du monde ».
Les souvenirs traversent des décors, des
climats d’époque, à partir de la révolution ratée, jusqu’aux débuts des années
1970, où les cartes semblent socialement redistribuées, où tout semble
désormais possible, y compris l’utopie. Texte puissant, féroce, où la langue
est non seulement maîtrisée mais sublimée, où les détails deviennent des images
fortes, le verbe fleurissant à chaque page de ce bref roman impossible à
lâcher.
Belle réussite parue en 2016 dans cette formidable collection Grands fonds de chez Cheyne éditeur, une collection qui chaque fois embarque son lectorat de manière magique par son style et la qualité de ses objets. En effet, difficile de ne pas avoir envie de caresser, de dorloter la couverture en relief et les pages. Danielle BASSEZ a sorti à ce jour une dizaine d’ouvrages chez cet éditeur, il va s’avérer nécessaire de les explorer plus en détails.
https://www.cheyne-editeur.com/
(Warren
Bismuth)
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