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dimanche 14 janvier 2024

Jim TULLY « Circus parade »

 


Deuxième tome du « Cycle des bas-fonds », « Circus parade » fut écrit en 1926 et raconte l’expérience fort mouvementée de Jim TULLY dans un cirque itinérant des Etats-Unis vers 1906. L’image d’Épinal, celle de l’imaginaire collectif sur le monde du cirque est ici pour le moins écornée. Car TULLY en a vu plus qu’il n’aurait dû sur la face cachée, maladie honteuse de cet art.

Le roman (qui n’en est pas vraiment un) débute par la mort d’un dompteur, tué par les animaux qu’il dressait. L’image est forte. Puis au fil des étapes de la troupe, TULLY note des situations, des anecdotes, et comme toujours laisse parler les protagonistes, qui se présentent et racontent leur parcours. Son travail consiste également en un instantané de la vie des marginaux aux U.S.A. à cette période, les lois en vigueur dans les différents États du pays, comme par exemple cette législation anti-vagabondage dans le Mississipi, que l’auteur et ses comparses doivent détourner.

Le monde du cirque est passé au peigne fin, abordant les suiveurs, où figurent pas mal de bandits. Voyages en train, le matériel étant acheminé par fourgons, et puis tous les à-côté, les magouilles, les vols, les intimidations, univers bien plus sinistre que l’image qu’il renvoie. « Notre monde était brutal, immoral, suffisant et conformiste. Nous avions un mépris sans borne pour tous ceux qui ne prêchaient pas de la même manière que nous ».

TULLY est un défenseur des minorités oppressées. Ici par exemple, il prend la défense d’un homosexuel persécuté. Il fait parler les sentiments, ainsi il présente cette dame obèse comme il y en a tant dans les cirques, la « Femme Forte », qui souffre en silence et finit par se suicider. Au-delà du (non) style, argotique, langage de la rue, des bas quartiers, le fond chez TULLY est sombre, il décrit la misère, l’isolement, l’addiction, les rapports humains exacerbés par les abus ou l’appât du gain. Parmi eux, ces salariés dont la route du cirque croise celle de Barnum, plus riche, plus célèbre. Et plusieurs de ces hommes et ces femmes rejoignent la facilité par la notoriété d’un cirque, en condamnant un autre, plus intimiste, à sa perte. Le racisme est prégnant, domination des blancs, haine du juif, les noirs finissent d’ailleurs par ne pas venir travailler dans les cirques à cause de leur persécution quotidienne dans un univers malsain et mafieux.

Le dénouement de ce livre riche en émotions a lieu en forme de bouquet final, toute la lecture s’apparentant à un véritable feu d’artifice. TULLY sait y faire avec les mots qui frappent, les scènes qui marquent, qui hantent, décrivant une classe sociale, parfois oisive, ici celle des travailleurs dans un milieu censé représenter la joie et la bonne heure. Il n’en est rien.

Il est peut-être temps, non pas d’oublier, mais de compléter STEINBECK. Les personnages de TULLY pourraient être échappées de « Tortilla flat » en même temps que de « Les raisins de la colère ». Pourtant ici ils ne sont pas fictifs, TULLY les a côtoyés, parfois aimés, ils sont décrits avec le cœur, ainsi qu’avec une bonne rasade de whisky. Ils furent écrits avant ceux dépeints par STEINBCEK, ce qui relativise quelque peu l’œuvre de ce dernier. « Circus parade » fut interdit dans plusieurs villes des Etats-Unis pour le portrait sulfureux du monde du cirque qu’il véhiculait.

Jim TULLY est sans doute cet auteur que j’attendais depuis des années, celui qui dépeint, sans arrogance, sans mots savants, les laissés pour compte d’une société, de manière faussement naïve, en fait franchement subtile derrière la gouaille hors norme de ses protagonistes. Le « Cycle des bas-fonds » (que je viens de terminer et dont je présenterai régulièrement chaque tome) est une sorte de miracle de la littérature. Ce volet parut pour la première fois en français en… 2017 ! Il faut remercier les éditions du Sonneurs par le travail d’envergure de Thierry BEAUCHAMP, préfacier et formidable traducteur de ce volume, un régal absolu pour les yeux et pour l’âme.

https://www.editionsdusonneur.com/

 (Warren Bismuth)


4 commentaires:

  1. Est-ce qu'il est question du sort des animaux, de leur dressage ?

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    1. Des Livres Rances15 janvier 2024 à 00:42

      Très peu, mais certaines scènes évoquent leurs souffrances.

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  2. J'avais beaucoup aimé aussi, c'est à la fois brutal, énergique et très émouvant..

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