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mercredi 31 janvier 2024

Malcolm MENZIES « Makhno, une épopée »

 


Les biographies sur le paysan révolutionnaire ukrainien Nestor MAKHNO sont peu nombreuses, et s’éloignent parfois volontiers de la réalité pour proposer un super héros résistant qui a quasiment fait plier l’armée rouge des soviets peu après leur prise de pouvoir en octobre 1917. L’anarchiste MAKHNO est souvent dépeint comme un homme sans failles, de manière caricaturale et exagérée dans ses qualités. Cette présente biographie de Malcolm MENZIES remet les pendules à l’heure.

Biographie de 1972 (ici rééditée), la première du révolutionnaire, elle revient abondamment sur les événements politiques du début du XXe siècle en Russie, ranimant le contexte politico-social qui précède la révolution de 1917. Parallèlement l’auteur place Nestor MAKHNO dans cet environnement. Anarchiste dès 1906 (il a alors 18 ans), il connaît pour la première fois la prison l’année suivante, est même condamné à mort, mais comme il est mineur, sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité.

Durant ses détentions, MAKHNO « visite » souvent le cachot pour insubordination. Il fait de longs séjours à l’hôpital en raison de sa santé devenue défaillante, touchée par une tuberculose pulmonaire. Il cogite et prépare une revanche, non seulement celle d’un homme, mais celle d’un peuple. La première révolution de 1917, celle de février, aboutit à une amnistie générale des condamnés politiques dont fait partie MAKHNO. Le voilà libre.

« Il languit six années entières à la prison de Boutyrka. Le peu de culture générale ou d’éducation politique qu’il posséda jamais, il devait l’acquérir là. Une prison politique, à cette époque, c’était aussi l’université. C’est là que les jeunes révolutionnaires apprenaient le b.a.-ba de leur idéologie politique des lèvres d’hommes mûris par plusieurs dizaines d’années d’activité subversive ». Car paradoxalement, dans cette biographie très documentée, ce sont bien les faiblesses de MAKHNO, son manque d’instruction, de discernement, son instinct bestial, sa violence qui nous le rendent plus humain, loin de l’image d’être indestructible fait d’un bloc.

Juste après sa libération en 1917, MAKHNO prend la tête d’une organisation ukrainienne paysanne et révolutionnaire, c’est là qu’il va écrire sa légende, alors que la Russie est dans son ensemble touchée par la famine et a besoin de la région d’Ukraine pour survivre. L’auteur revient avec force détails sur les évènements immédiats de l’après octobre. Son travail minutieux permet de suivre l’évolution du régime, mais aussi celle de l’armée Makhnoviste, de sa brève alliance avec LÉNINE, du traité de Brest-Litovsk de 1918, de l’Allemagne qui prend en partie possession de l’Ukraine, alors jeune République autonome. La maison de la mère de MAKHNO est brûlée, l’un de ses frères tué, l’autre jeté en prison.

De cette période, de nombreuses légendes planent sur Nestor MAKHNO, Malcolm MENZIES s’applique à les détricoter, tandis que la Makhnovchtchina, l’armée insurrectionnelle ukrainienne dirigée par MAKHNO, s’adonne à de véritables massacres. Tout s’emballe, la simple évocation du nom de Nestor MAKHNO inspire la terreur. VOLINE, le célèbre révolutionnaire, rejoint cette armée, il témoigne des horreurs, les dépeint.

En 1921, l’aventure se termine, la Makhnovchtchina est vaincu. Sur les accusations d’antisémitisme sur la personne de MAKHNO, là aussi Malcolm MENZIES répond, aussi brièvement que clairement : « L’armée makhnoviste, presque entièrement paysanne dans son recrutement, n’était évidemment pas exempte du sentiment antisémite virulent qui s’était emparé de l’Ukraine. Makhno, personnellement, condamnait toute discrimination. Il publia des ordres interdisant formellement les pogroms, et les sanctions punissant les manifestations d’antisémitisme étaient promptes et rigoureuses. Un commandement de détachement fut fusillé sans jugement en raison d’un raid accompli sur une colonie juive. Un soldat eut droit au même sort pour avoir déployé un calicot portant : ‘Mort aux juifs, sauvons la Révolution, vive le batko Makhno’ ».

Défait, renié, MAKHNO quitte la Russie. Il erre dans divers pays avant de rejoindre la France en 1925, où le mouvement anarchiste est en crise, comme partout en Europe. Indirectement, MAKHNO en fera les frais. Abandonné autant pour son alliance passée (quoique très brève) avec les bolcheviques que pour son attitude jugée hautaine et son comportement solitaire, mais aussi mis de côté simplement pour être russe, comme le furent de nombreux exilés à cette période. Malgré les manifestations et cagnottes de soutien, il meurt dans la misère, épuisé, en 1934. Il n’a que 45 ans. Il reste les actes, ceux d’un révolutionnaire anarchiste déterminé et de son armée paysanne qui a marqué l’Histoire du XXe siècle.

Ce documentaire est une mine d’informations, que ce soit sur Nestor MAKHNO, sur l’Histoire politique de la Russie de l’avant révolution de 1917, sa mise en place et ses balbutiements, mais aussi sur les relations internationales et les accords de principe. Au-delà de la biographie d’un être, c’est bien un instantané sur l’Europe de l’est des deux premières décennies du XXe siècle. Quant à la biographie en elle-même, elle est clairvoyante car défanatisée, lucide car impartiale, prenant un recul nécessaire et salvateur. Elle ne glorifie ni ne condamne MAKHNO, ne sous-estime pas son action révolutionnaire, mais ne la rend pas héroïque. La figure de MAKHNO a permis tous les abus, les écrits pros ou anti se réfugiant dans une sorte de caricature du portrait, du super héros au super pourri buvant du sang juif. La vérité est tout autre, et Malcolm MENZIES l’expose brillamment. S’il n’y a qu’un témoignage à retenir sur Nestor MAKHNO, c’est sans doute celui-ci. Il fut enfin traduit (par Michel CHRESTIEN) et réédité dans une version revue et corrigée en 2017 dans la majestueuse collection Lampe-Tempête des éditions L’échappée.

https://www.lechappee.org/collections/lampe-tempete

(Warren Bismuth)

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