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dimanche 13 juillet 2025

Jaroslav HAŠEK « Le guide du « RIEN » et autres histoires »

 


Jaroslav Hašek (1883-1923) est surtout connu pour sa réjouissante trilogie des aventures du brave soldat Švejk, qui est aussi un pamphlet pacifiste et antimilitariste de plus de 1000 pages. Mais l’auteur a également écrit des nouvelles, et les éditions La Baconnière de Genève nous en proposent une nouvelle lecture dans ce recueil paru en 2024. La plupart des 25 textes sont antérieurs à la trilogie, ils furent écrits entre 1904 et 1923, certains sont même posthumes.

Hašek, comme à son habitude, s’avère outrancier, irrévérencieux, et ici c’est surtout le corps religieux qu’ils brocarde et mitraille. Prisonniers, ivrognes, va-nu-pieds, vagabonds, tout ce petit monde évolue au gré des circonstances, dans des récits acérés et burlesques, où le contre-pied à l’injustice est toujours un réflexe humaniste. Contre le cléricalisme, la cruauté humaine, Hašek met en scène une galerie de personnages que l’on pourrait croire issue de la farce russe, d’une nouvelle ou du théâtre de Gogol par exemple.

Hašek a décidé de ne pas faire dans la dentelle. Aussi, ses nouvelles débordent : de mauvais goût mais de bons mots, de mauvaises habitudes mais de bonnes répliques, de mauvais bougres mais de bons cœurs. Car derrière la farce théâtrale se cache un discours pacifiste, humaniste, anarchiste. Derrière le brûlot explosif, c’est un homme sensible qui s’exprime. Sensible mais férocement libre et antiautoritaire. Et accessoirement contre le monde littéraire de son époque : « Ses réflexions furent troublées par un cri venant de la rivière. C’était un de ces cris nocturnes qui font la joie des jeunes poètes et qui leur rapportent 16 sous la ligne – puisque tel est le tarif du ‘cri mystérieux, surgi des profondeurs de l’eau et déchirant le silence nocturne’ ».

Dans des scènes incongrues, des protagonistes improbables se rencontrent et, si tout les séparent, ils font néanmoins un bout de chemin ensemble dans des paysages ruraux d’Europe de l’est. Ces confessions pour expier les péchés, c’est bien pratique, dans une évidente abnégation, une soumission au Seigneur, une peur comme un défi : « Et puis s’il ne nous répétait pas tout le temps qu’on ne devrait plus jamais se battre, ni voler, ni jurer ! Croyez-le ou non, il vient tout juste de débarquer et, déjà, il ne fait qu’interdire ».

La nouvelle « Sauvé ! » de 1910 est un modèle contre la peine de mort, où un condamné à être pendu est victime d’une intoxication alimentaire et se trouve choyé jusqu’à ce qu’il recouvre la santé… pour être mieux exécuté, le tout envisagé sur le ton de la moquerie. Car Hašek se moque sans cesse : de la censure, des graphologues, de la gouvernance. Lisez cette merveilleuse nouvelle « La grève du crime » de 1910, petit chef d’oeuvre dans lequel criminels et voyous ont décidé de faire la grève des actions illégales, entraînant le dépérissement de l’État qui doit tout mettre en œuvre pour que les affaires reprennent.

En fin de volume, Hašek se permet des intrusions en Espagne au temps de l’Inquisition, en Chine, non sans nous livrer des images toujours un peu plus farfelues : « un chevreuil s’est pris au filet ; afin qu’il n’empeste pas, deux angelots lui soufflent dans le derrière ». Le recueil se clôt sur « Histoire d’un brave soldat suédois », soldat qui ressemble étrangement au bon Švejk, une nouvelle fortement imprégnée d’antimilitarisme, datée de 1904, alors que l’auteur ne semble pourtant avoir pensé à son héros qu’en 1911 ! Qu’importe, ce recueil de nouvelles est tout ce qu’il y a de recommandable pour rire à gorge déployée sans avoir peur du mauvais goût ni d’un anticléricalisme fortement imprégné des débuts du XXe siècle.

https://www.editions-baconniere.ch/

(Warren Bismuth)

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