Dans un pays indéterminé se dresse une Unité adjacente à une maternité. Dans l’Unité, six appartements occupés par des patients, des personnes déficientes mentales. Mais qui sont ces patients ? Ils vont intervenir les uns après les autres, prendre la parole, parfois laborieusement, parce que toutes et tous portent les traumas d’un passé qu’ils n’ont jamais soigné.
Les résidents vivent en vase clos, à la fois seuls mais dans un collectif représentant une entité pleine. Sans l’un des membres le château de carte s’écroule. Cette communauté s’autorégule en une complémentarité minutieuse. Chacun y va de sa petite histoire, ses souvenirs, réels ou inventés. « Quelle que soit l’histoire choisie, chacun la relate dans les moindres détails avec ses mots et de façon immuable. Ils ne l’oublient jamais, ni celui ou celle qui l’a imaginée, ni les autres. Et si elle recèle en elle des faussetés, cela relève désormais de la vérité de l’Unité. Quels que soient les mensonges, ils doivent avoir été inventés ex nihilo, pour en dissimuler d’autres et devenir à leur tour la vérité de l’Unité. Puis on les oublie. Vivre dans l’Unité suppose de renoncer à la contradiction. Et de ne jamais laisser place à l’objection ».
Les souvenirs sont souvent liés aux parents, aux moments dramatiques, à tout ce que l’on aimerait voir rejaillir de ses tripes mais qui reste coincé dans une gorge trop nouée. Alors par petites touches, parfois, une mince partie est expectorée… Mais pas tout, jamais, et ce collectif n’est qu’une suite de solitudes en chaîne. « Ils ont beau cohabiter sous le même toit, en fait ils sont isolés. Les quelques conversations entre eux ressemblent à des soliloques, ou plutôt à des flèches égarées dans l’infini, qui ne se croisent jamais. La vie est dénuée de profondeur. Il n’y a aucune interaction ; juste la répétition et le silence ».
Dans tout cet édifice précaire va surgir Alma, introduite par le Visiteur, née dans la maternité tout à côté. Et elle va métamorphoser les résidents, ensoleiller l’atmosphère, réchauffer les cœurs.
Dans un texte flirtant allègrement avec le fantastique, le grec Christos Chryssopoulos poursuit son œuvre protéiforme, y compris dans un même récit. C’est le cas ici avec un roman qui titille parfois la poésie avant de basculer dans une structure théâtrale où tout n’est plus que dialogues, très peu de décors – savamment décrits au début -, le tout mêlé d’onirisme, où les protagonistes semblent vivre dans un autre monde, un monde parallèle, le leur.
« Maison Alma » est un hommage vibrant à la jeunesse, à tout ce qu’elle peut apprendre aux aînés par sa fougue, sa spontanéité. Il est faux de croire que les plus anciens détiennent plus de vérités. C’est un récit dans lequel plusieurs naissances ont lieu en diverses périodes, d’ailleurs les résidents racontent leurs propres naissances, les uns après les autres, tandis que Alma arrive dans leur univers, pour une naissance de plus. Mais la naissance est aussi le moment où les inégalités commencent.
Roman hybride sur la filiation, le « redépart », le renouveau, l’acceptation de la différence, un texte humaniste présenté de manière originale, notamment par cette longue séquence où Elle (nous ne connaîtrons jamais son prénom) est enceinte, dans la maternité jouxtant les appartements de l’Unité, une grossesse extrêmement détaillée, y compris scientifiquement, cette grossesse qui bientôt va bouleverser la vie de plusieurs personnes qui n’attendent plus rien de l’avenir. Un roman où l’espoir, pourtant peu présent, ne se fait plus tout à coup lueur mais quasi certitude. Car Alma est cette enfant aux dons prodigieux qui lui permettent de réparer des vies. Les dernières lignes sont extraites d’une chronique de 1938 de Joseph Roth, ce qui peut représenter un indice quant à l’espace temps et pourquoi pas géographique… Ce point de vue étant entièrement gratuit et personnel, merci de n’en pas tenir compte.
« Maison Alma », écrit en 2019, vient de paraître aux nécessaires éditions Signes et Balises, dont Anne-Laure Brisac, directrice éditoriale, signe ici la traduction du grec. Soutenez cette maison, elle est magistrale !
https://www.signesetbalises.fr/
(Warren
Bismuth)

Magnifique lecture ! Merci, cher Laurent 🙏🫶
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