Notre
Moka nationale du blog Au
milieu des livres vient encore de frapper, avec un tout nouveau challenge
intitulé « Quatre saisons de pavés », où la règle est simple mais
redoutable : présenter sur une année, chaque trimestre, c’est-à-dire
chaque saison, un livre de plus de 500 pages. Malgré mon insolent travail de
chroniques à rédiger, j’ai opté pour une participation à ce challenge, étant
admiratif du travail qu’accomplit Moka depuis maintenant des années (elle est
notamment la cofondatrice du challenge mensuel « Les classiques c’est
fantastique » pour lequel elle réalise notamment des visuels à tomber par
terre, c’est d’ailleurs aussi le cas pour le présent défi). Pour ma première
participation (hiver donc, si vous avez bien noté), ce ne seront pas 500 pages,
même pas 700, ni 900 mais bien 1150 au menu, pour une anthologie récemment
parue, l’une des plus belles que l’on puisse espérer dans une vie de
lecteur : « Métamorphoses » de Jim Harrison (1937-2016).
Jim
Harrison a eu très vite la réputation d’écrivain misogyne, machiste, plaçant
dans ses histoires des femmes caricaturales. Jusqu’à la naissance de
« Dalva » en 1988, brillant roman d’une femme libre, où Harrison
explique s’être mis à la place d’une femme pour écrire ce long récit. Dès lors,
il reviendra ponctuellement sur ces portraits féminins états-uniens forts,
cette gente féminine provoquant son
destin. C’est ce thème que met brillamment en valeur la collection Quarto de
chez Gallimard, proposant une sorte d’anthologie de la femme chez Big Jim.
La
plupart des textes présentés ici sont connus du lectorat assidu de l’auteur.
« Dalva », bien sûr, ce puissant roman d’une femme déterminée, l’un
des plus réussis, des plus sensoriels, des plus mélancoliques de l’écrivain. Sa
suite, « Retour en terre », écrite dix ans plus tard, suite ou plutôt
juxtaposition de l’histoire (ici republiée), avec cette fois-ci les
événements vus par le grand-père puis le fils de Dalva qu’elle a abandonné à la
naissance.
Durant
sa carrière Jim Harrison a surtout été connu pour ses novellas. Ici ce sont
quatre d’entre elles que nous avons le loisir de (re) lire. « La femme aux
lucioles » est parue en 1990 (1991 pour la France) dans le recueil éponyme
comportant trois novellas. Cette femme, c’est Claire, atteinte d’une maladie et
se sachant condamnée. Mariée à un antisémite, elle discute philosophie avec son
docteur attitré. Elle avoue une fascination pour Dostoïevski qu’elle découvre.
« Julip » est issue du recueil du même nom. Comme pour le recueil
précédent, celui-ci (de 1994, traduit en 1995) renferme trois novellas. Bobby,
le frère de Julip, a frappé trois hommes qui tentaient d’abuser d’elle, il est
incarcéré au moment où s’ouvre le récit.
« Epouses
républicaines » est une novella parue originellement dans le recueil en
comptant trois, « L’été où il faillit mourir » de 2005 (2006 pour la
traduction). Dans ce texte polyphonique, ce sont trois vibrants portraits de
femmes qui sont au menu avec comme fil directeur un homme, qui fut amant des
trois, qui chacune à leur tour prennent la parole pour se confier sur leurs
mariages respectifs ratés. Quant à « La fille du fermier », novella
extraite du recueil « Les jeux de la nuit » (2010, traduit en 2011),
c’est peut-être la plus réussie des quatre novellas, d’ailleurs les
professionnels ne s’y sont pas trompés puisque c’est la seule qui fut éditée à
part, isolée en livre de poche. La fille du fermier, c’est Sarah, adolescente
dont la famille part s’installer dans le Montana. Là, sa mère quitte le foyer
pour rejoindre un homme tandis que Sarah va être victime d’abus sexuels.
Superbe destin d’une femme décidée à vivre sa vie, établir sa liberté, et
accessoirement régler quelques comptes.
La
suite de cette anthologie sera à scruter particulièrement, puisqu’il s’agit de
brefs textes inédits sur une grosse quarantaine de pages, toujours en rapport
avec la Figure de la femme, c’est tout le piquant du livre. « Wendigo
I » est un projet de film de 1977, quelques pages où une Indienne
enseignante, dans un climat fantastique et onirique, veut renouer avec les
coutumes ancestrales de son peuple après qu’elle se soit
« occidentalisée ». Puis vient « Wendigo II », non daté, même
projet, texte similaire mais plus détaillé. « Béatrice » fut écrit
vers 1986 et rend hommage aux célèbres actrices de cinéma. Il est bon de noter
que ces trois reliquats de textes furent écrits avant « Dalva ».
Vient « Big women » de 1990, projet avorté d’une novella loufoque.
« Des femmes nues dansent » de 2001 est un hommage aux lieux de
strip-tease, un peu loin de l’image de la femme que désirait enfin donner
Harrison qui ici retombe parfois dans la facilité. Ce texte a été remanié avant
de paraître dans le récit de vie « En marge » (2002, traduit en
2003).
Le
recueil se poursuit avec un texte de 2003 sans titre, une page et un vibrant
hommage au poète Francisco Hernández par le prisme d’une femme. « Père et
fille » est une fiction de 2004, texte un peu plus fouillé que les autres inédits,
où un homme qui a fait de la prison, divorcé depuis que sa fille avait 10 ans,
aimerait qu’elle vienne enfin le rejoindre dans le Montana. Survient le
puissant et bref poème féministe « Femmes en colère » de 2006. Le
recueil se clôt sur « La femme blanche la plus rapide du monde ».
Mais
avant tout ceci, il ne faut pas omettre le début de cette anthologie. Une belle
préface de Brice Matthieussent tout d’abord, le traducteur attitré de Jim
Harrison en français depuis les années 1980, préface où il rend hommage au
bonhomme qu’il a bien connu. Puis le tant attendu « Vie et œuvre »,
un classique de la collection, soit une copieuse biographie agrémentée de très
nombreuses photos, un régal absolu. Juste avant l’inclusion de
« Dalva » vient un texte de 1999, « Première personne du féminin
singulier » où Harrison explique son côté féminin et son désir de tenter de se
mettre à leur place pour écrire leur vie. Ce texte parut en 2021 dans le livre
« La recherche de l’authentique ».
Autant
dire que pour les obsessionnels de Big Jim, il y a peu d’inédits, quelques
dizaines de pages dans un volume en comportant 1150. Mais c’est aussi et
surtout l’opportunité de relire ses romans et novellas dressant de superbes
portraits de femmes, qui font que la misogynie supposée de Harrison explose à
la lecture de ces pages, même s’il reste bien entendu quelques réflexions ou
« oublis » machistes et pas mal de regards très appuyés sur une paire
de fesses. Harrison a accédé à une grande renommée grâce à « Dalva »,
ce roman ample qui rend hommage à la femme en général, récit d’une beauté
éclatante, qui entraîne tous les autres dans son sillage pour un recueil
indispensable, et peut-être pour un lectorat resté sur sa faim après les
saillies misogynes de l’auteur, une belle façon de redécouvrir son œuvre, mais
aussi et surtout l’homme et sa sensiblerie exacerbée qui ruisselle tout au long
des ces pages. Le recueil est paru en tout début d’année, il en sera l’un des
moments marquants.
« Les femmes que nous avons maltraitées ont
bien raison de ne jamais nous pardonner ».
(Warren Bismuth)