Derrière ce titre énigmatique qui sera par ailleurs dévoilé en
épilogue de cet ouvrage, se cache un véritable O.T.N.I. (Objet Théâtral Non
Identifiable). La base : saccage de la nature, hystérie d’une technologie
polluante de moins en moins contrôlable, un humain devenant victime de sa
propre invention tel un professeur Frankenstein moderne. Cette pièce de théâtre
est une mosaïque se découpant en monologues, narrations, dialogues, entrecoupés
de citations d’un manifeste, de données de géolocalisation, le tout dans une
polyphonie assez vertigineuse. Il y a le monologue de l’échidné, un ancestral
mammifère en voie d’extinction qui recherche l’âme sœur pour ne pas disparaître
de la surface de la terre (ses réflexions et sa progression sont en italiques),
la narration suit un homme qui s’apprête à commettre un attentat, les dialogues
sont entretenus entre la pauvre femme de cet homme et un policier, puis un
scientifique répondant aux questions d’un journaliste, ce même scientifique
(non fictif !) terminant enfin un abscons projet d’ascenseur cosmique (bien
réel aussi !). Et puis il y a ce satellite, fleuron du progrès
scientifique, qui espionne tous les faits et gestes depuis l’espace, notamment
ceux de l’homme qui s’apprête à commettre un attentat (gros plan sur
l’échidné). Bien sûr, mais l’homme, le terroriste, me direz-vous ? Il s’agit
de Ted KACZYNSKI, personnage sulfureux et atypique des années 1990. Il est vrai
qu’il a fait carrière sous un pseudonyme moins anonyme : UNABOMBER,
chercheur surdoué qui va finir par s’isoler dans les montagnes du Montana et
perpétrer pas mal d’attentats contre la cause qu’il a pourtant défendue durant
des années : le progrès, revendiquant dorénavant un retour au primitivisme.
Dans cette pièce, plusieurs citations d’UNABOMBER. Toutes sont extraites de son
manifeste « La société industrielle et son avenir » (les auteures
prennent toutefois la liberté de lui attribuer une femme et un enfant pour le
confort de l’histoire). Toutes les micro-scènes décrites ci-dessus sont
imbriquées de manière cohérente et talentueuse, pour éveiller les (in)
consciences. Et comme tout semblait trop simple jusque là, il va vous falloir
ajouter un soupçon de coordonnées géographiques (la géolocalisation évoquée
plus haut) indiquées ça et là au fil de la pièce. Je vous défie de ne pas chercher
à tapoter sur votre ordinateur afin de connaître le lieu exact où se situe
l’action en question. Un théâtre en quelque sorte interactif pour un lectorat
participatif. Gergana DIMITROVA et Zdrava
KAMENOVA sont deux femmes bulgares au solide C.V. en matière de théâtre, leur
pièce n’est pas qu’originale, elle est ambitieuse quoique très courte. Un
théâtre résolument militant, « éco-terroriste », balancé dans notre
tronche tel un lanceur d’alerte, le porte-parole d’une planète à l’agonie mise
à genoux par la cupidité humaine, cette pièce est comme une énergie du
désespoir, celle même qui a fait se lever UNABOMBER contre la marchandisation
de la terre. Mais attention, les deux auteures n’oublient pas l’humour, elles
l’utilisent scrupuleusement et à bon escient, rendant cette pièce encore plus
déconcertante et incisive. C’est sorti en 2015 aux Éditions L’ESPACE D’UN
INSTANT. J’en profite pour remercier vivement l’éditeur, de l’intérêt qu’il
porte à mon modeste travail, et un immense merci pour l’envoi de toutes ces
nourritures célestes.
(Warren Bismuth)
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