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vendredi 22 décembre 2017

Leonid ANDREIEV « S.O.S. »


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Recueil de quatre textes écrits entre mars 1917 et septembre 1919. Nous découvrons un ANDREIEV très critique, très véhément sur la situation russe juste avant et pendant le basculement vers la Révolution. Le premier texte se nomme « La censure ». Si l'auteur s'interroge sur le sujet, c’est aussi pour constater l'autocensure des écrivains : « Ne peut-on à la fois écrire pour la censure et penser librement ? ». S'il croit avoir observer une relative semi-liberté de ton et d'opinion dans la Russie tsariste entre 1905 (date de la première tentative de Révolution) et 1916, en ce mois de mars 1917 il s'insurge contre le contrôle des écrits et l'autocensure qui en découle : « C'est une chose d'aimer la liberté, et c'en est une autre de savoir être libre ». Il ne se prive pas non plus de se lancer sans ménagement dans une autocritique acerbe. Lui, ANDREIEV, n'est pas cet artiste jouissant d'une totale liberté de parole. Une réflexion très poignante car se situant durant le gouvernement provisoire de KERENSKI entre l'abdication du tsar début 1917 et la prise de pouvoir de LENINE en octobre de la même année. À l’instar d’un ZAMIATINE, ANDREIEV fut rejeté à la fois par le régime tsariste et le bolchevisme, leur parcours est par ailleurs assez similaire, se terminant pour tous deux par l’exil, en France pour ZAMIATINE (entre autres grâce à GORKI qui plaidera sa cause auprès de STALINE), en Finlande pour ANDREIEV. Le deuxième texte « Veni Creator ! » est une catapulte particulièrement lestée envoyée sur la gueule de LENINE, 8 pages d'une violence inouïe, un pamphlet comme une marmite d'huile bouillante sur le haut d’un crâne, une violente attaque frontale contre un LENINE vu comme un souverain tout puissant et autoritaire. « Mais tu es dur, LENINE, tu es même terrible, grand LENINE ! Je te regarde et je vois ton petit corps croître en largeur et en hauteur. Te voilà déjà plus grand que la colonne Alexandre. Voilà déjà que tu surplombes la ville comme le nuage de fumée d'un incendie. Voilà que déjà, comme une nuée noire, tu te déploies sur l'horizon et recouvre le ciel tout entier : il fait sombre sur la terre, les ténèbres règnent dans les demeures, tout est silencieux comme dans un cimetière ». L'avenir ne donnera pas tort à ANDREIEV. Pour bien cerner la prouesse et la portée de ce brûlot, précisons qu'il a été écrit en septembre 1917, soit un mois avant l'arrivée de LENINE au pouvoir ! « S.O.S. », est écrit quant à lui en février 1919 lorsque ANDREIEV est exilé en Finlande. Il avertit le reste de l'Europe d'une crise sans précédent se jouant en Russie (qui n'est pas encore devenue U.R.S.S.), il lance un appel désespéré aux nations européennes qui viennent tout juste de sortir de la guerre, il met violemment en garde les peuples et les dirigeants contre l'ogre bolchevique «  Il faut être totalement privé de raison pour ne pas comprendre les actes, les agissements et les convoitises, simples et évidents, du bolchevisme ». La frappe est directe, mais l'appel solennel. TROTSKI est traité de « bouffon sanguinaire ». ANDREIEV assiste de loin et sans force au naufrage d'une nation entière, une Russie malade et défaite. « Il est difficile de préserver sa vie, cela semble presque un bonheur de s'en débarrasser ». La solennité est portée jusqu'à la dernière ligne et l’ultime phrase de ce texte à l'encontre de l'Europe « Que te dire encore, mon ami ? Viens vite, hâte-toi ! ». Le dernier texte présenté est inachevé puisque écrit en septembre 1919, le mois même de la mort d'ANDREIEV (qui surviendra le 12 des suites de l’un de ses trois suicides ratés, l’auteur, alcoolique, jouissait d’un optimisme sans faille). Le père Leonid lance un dernier pavé, un parallèle entre révolte et révolution, la première étant « dénuée de pensée », ne représentant que l'instant présent, la seconde « remplie de pensée », organisée, désintéressée, luttant pour l'avenir. Pour ANDREIEV, le bolchevisme représente la trahison à la révolution, à l'humanisme : « Le mot « homme » a été éradiqué du vocabulaire bolchevique », bolchevisme que l'auteur personnifie en Satan, chargeant le parti au pouvoir : « Si tous les bolcheviks ne sont pas des scélérats, tous les scélérats de Russie sont devenus bolcheviques ». Ironie de l'Histoire, étant faite de petits pieds de nez forgeant les grandes anecdotes mémorables, le texte s'arrête brutalement au titre du chapitre trois. Il s'intitule « Leur règne ». On ne peut que laisser place à un silence respectueux devant un écrivain éminemment visionnaire qui a senti la tragédie venir avant même l’avènement de LENINE. Ce recueil est sorti en 2017 aux excellentes Éditions INTERFÉRENCES, traduit de main de maître par Sophie BENECH spécialiste de l’auteur, 75 pages de dynamite toute russe pour bien constater sans aucun doute possible que le peuple connaissait la chanson que s’apprêtait à interpréter le bolchevisme avant même sa véritable mise en pratique sur le terrain. Témoignage précieux d'un immense auteur, à garder sous verre et à briser en cas d'urgence, on n'est jamais trop prudent.e.s.


(Warren Bismuth)

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