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mercredi 2 janvier 2019

Laurence TEPER « Un cadenas sur le coeur »


Pourquoi dès la première phrase on sent comme un relent Simenonien ? « Lorsque la DS blanche s’engagea dans le boulevard de la Corniche et qu’elle sentit l’odeur des pins, Claire, l’aînée des enfants Meunier, sourit ». Pressentiment qui se concrétise tout au long de ce superbe premier roman. Les personnages sont très Simenoniens, les situations également, l’atmosphère est pesante, poisseuse.

Au centre du récit, Claire. Née dans les années 60, parents qui se détestent, mère acariâtre, dominatrice, père effacé, les deux ne s’apprécient pas (couple Simenonien, cf. : « Le chat » par exemple, pour le côté passif familial se référer aux « Sœurs Lacroix »). Pour le père la mère est une folle, pour la mère le père est un raté issu d’une famille de collabos, de droite. De plus les parents de papa Meunier (qui a fait l’Indochine) avaient divorcé et le père s’était remarié avec une allemande mère d’une fille, en pleine fin de deuxième guerre mondiale, la trahison suprême. Raison de plus pour madame Meunier de haïr son mari mais aussi tous ses ascendants.

Et puis il y a la famille Coquillaud avec laquelle les Meunier partaient chaque année en vacances avant le divorce de monsieur Coquillaud qui était par ailleurs devenu le patron de madame Gisèle Meunier. Pour elle il a représenté Dieu sur terre, plus que de l’estime, c’était une admiration, une adoration. Claire finit quand même par se poser la question : ne serait-elle pas la fille de ce diable de Coquillaud ? Ils paraissent amants avec sa mère, se cachent à peine.

Claire continue son parcours de vie. Elle rencontre Nicolas, un petit juif mal à l’aise, il paraît un double de KAFKA. Ils se marient, trois filles viendront égayer le morne ménage. Nicolas n’aime pas Claire, il ressent tout au mieux de la tendresse, de l’estime. Quant à Claire, c’est la pitié qui l’a poussée vers Nicolas, ce type chétif sans aspérités, qui semble se demander ce qu’il fout sur terre tant il n’y prend aucun plaisir.

Il va y avoir la mort de Ludovic, le frère de Claire, immense choc émotionnel, traumatisme à long terme, vu comme l’anéantissement du vrai complice, du confesseur, du vrai amour.

Un roman à facture et écriture classiques. Mais il est bien difficile de ne pas aller voir plus loin, toujours plus loin, afin de connaître un peu mieux, parfois jusque dans les moindres détails, cette famille Meunier, avec ses côtés lugubres : un couple ne s‘aimant pas, une fille qui préfère largement son père à sa mère, un fils adoré de sa sœur mais atteint d’une tumeur, un ancien patron arrogant, autocentré, la tête à claques de ce roman.

Dès le début Claire part en quête de sa personnalité en recherchant dans son passé. Pourquoi est-elle à ce point focalisée sur les juifs, jusqu’à vouloir tous les sauver (son mariage par exemple) ? Pas à pas, elle va collecter des informations capitales, de plus en plus précises, remontant plus près dans le passé, ce qui va la mener du côté de Poitiers au tout début de l’occupation allemande.

Ce roman assez elliptique est découpé en actes, comme une pièce de théâtre. Ils sont trois et représentent chacun une partie de la vie de Claire : la jeunesse, les questionnements et souffrances, la tentative de reconstruction. C’est bien proportionné, excellemment huilé, on se laisse prendre au jeu sans aucune résistance, et même avec une évidente complicité tant la psychologie des personnages est fouillée. Ce premier roman se lit aisément, nous ramenant sur les routes parfois sinueuses du siècle dernier, le XXe, quand on lisait encore en noir et blanc. L’ambiance est froide (car ?) distanciée, une très bonne surprise que ce « Cadenas sur le cœur » que l’on doit une fois de plus au décidément excellent Quidam Editeur en ce début 2019.


(Warren Bismuth)

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