Pourquoi dès la première phrase on sent
comme un relent Simenonien ? « Lorsque
la DS blanche s’engagea dans le boulevard de la Corniche et qu’elle sentit
l’odeur des pins, Claire, l’aînée des enfants Meunier, sourit ».
Pressentiment qui se concrétise tout au long de ce superbe premier roman. Les
personnages sont très Simenoniens, les situations également, l’atmosphère est
pesante, poisseuse.
Au centre du récit, Claire. Née dans les
années 60, parents qui se détestent, mère acariâtre, dominatrice, père effacé,
les deux ne s’apprécient pas (couple Simenonien, cf. : « Le
chat » par exemple, pour le côté passif familial se référer aux
« Sœurs Lacroix »). Pour le père la mère est une folle, pour la mère
le père est un raté issu d’une famille de collabos, de droite. De plus les
parents de papa Meunier (qui a fait l’Indochine) avaient divorcé et le père
s’était remarié avec une allemande mère d’une fille, en pleine fin de deuxième
guerre mondiale, la trahison suprême. Raison de plus pour madame Meunier de
haïr son mari mais aussi tous ses ascendants.
Et puis il y a la famille Coquillaud avec
laquelle les Meunier partaient chaque année en vacances avant le divorce de
monsieur Coquillaud qui était par ailleurs devenu le patron de madame Gisèle
Meunier. Pour elle il a représenté Dieu sur terre, plus que de l’estime, c’était
une admiration, une adoration. Claire finit quand même par se poser la
question : ne serait-elle pas la fille de ce diable de Coquillaud ?
Ils paraissent amants avec sa mère, se cachent à peine.
Claire continue son parcours de vie. Elle
rencontre Nicolas, un petit juif mal à l’aise, il paraît un double de KAFKA.
Ils se marient, trois filles viendront égayer le morne ménage. Nicolas n’aime
pas Claire, il ressent tout au mieux de la tendresse, de l’estime. Quant à Claire,
c’est la pitié qui l’a poussée vers Nicolas, ce type chétif sans aspérités, qui
semble se demander ce qu’il fout sur terre tant il n’y prend aucun plaisir.
Il va y avoir la mort de Ludovic, le frère
de Claire, immense choc émotionnel, traumatisme à long terme, vu comme
l’anéantissement du vrai complice, du confesseur, du vrai amour.
Un roman à facture et écriture classiques.
Mais il est bien difficile de ne pas aller voir plus loin, toujours plus loin,
afin de connaître un peu mieux, parfois jusque dans les moindres détails, cette
famille Meunier, avec ses côtés lugubres : un couple ne s‘aimant pas, une
fille qui préfère largement son père à sa mère, un fils adoré de sa sœur mais
atteint d’une tumeur, un ancien patron arrogant, autocentré, la tête à claques
de ce roman.
Dès le début Claire part en quête de sa
personnalité en recherchant dans son passé. Pourquoi est-elle à ce point
focalisée sur les juifs, jusqu’à vouloir tous les sauver (son mariage par
exemple) ? Pas à pas, elle va collecter des informations capitales, de
plus en plus précises, remontant plus près dans le passé, ce qui va la mener du
côté de Poitiers au tout début de l’occupation allemande.
Ce roman assez elliptique est découpé en
actes, comme une pièce de théâtre. Ils sont trois et représentent chacun une partie
de la vie de Claire : la jeunesse, les questionnements et souffrances, la
tentative de reconstruction. C’est bien proportionné, excellemment huilé, on se
laisse prendre au jeu sans aucune résistance, et même avec une évidente
complicité tant la psychologie des personnages est fouillée. Ce premier roman
se lit aisément, nous ramenant sur les routes parfois sinueuses du siècle
dernier, le XXe, quand on lisait encore en noir et blanc. L’ambiance est froide
(car ?) distanciée, une très bonne surprise que ce « Cadenas sur le
cœur » que l’on doit une fois de plus au décidément excellent Quidam
Editeur en ce début 2019.
(Warren Bismuth)
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