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lundi 24 décembre 2018

Jacques JOSSE « Lettre ouverte au grand-père capitaine »


Est-ce parce qu’il n’a pas connu ce grand-père décédé en 1951 à qui il s’adresse ici, que JOSSE, né en 1953, n’indique pas le nom de l’auteur sur la couverture ? Tel un anonyme qui viendrait retransmettre ce qu’il a entendu sortir des lèvres d’autres témoins, antérieurs. On se plaît à imaginer cette version, même si plus prosaïquement c’est en fait la forme générale de cette petite collection, couverture valable pour tous les auteurs qui y publient une lettre.

Cette lettre très courte donc – 20 pages, pas une de plus – peut être vue comme la suite de « Débarqué », sorti début 2018 chez La Contre Allée, elle peut même être considérée par ce mot un brin barbare de « préquelle », c’est-à-dire l’histoire survenue avant « Débarqué » mais sortie après : « Débarqué » est une biographie du père de l’auteur (nous l’avons déjà présentée dans nos colonnes) alors que la présente lettre est destinée au grand-père, le père du père de « Débarqué ». Ce récit qui vient tout juste de sortir a pourtant été écrit durant l’été 2017, donc possiblement avant ou même pendant « Débarqué », il serait intéressant de savoir quelle œuvre a précédé l’autre dans la chronologie d’écriture. Le « tu » répété au fil des pages fait de ce récit une mise en relation avec l’au-delà, à destination de l’aïeul et lui seul.

Quoi qu’il en soit, voici le capitaine, ce matelot clope au bec en permanence, briquet-tempête vissé dans une main, qui a écumé les mers, les océans, connu toutes sortes de rafiots, de tempêtes (justement) et de continents. Puis qui s’en est allé le 18 mars 1951 après une dernière quinte de toux, décès ajournant d’une année le mariage des futurs parents du petit Jacques, repoussant sans doute aussi sa propre naissance d’une année. Ce grand-père né en 1878, fascinant pour le père (qui lui restera sa vie à quai et voyagera dans sa tête), sorte de héros intime, brestois parti vers des cieux plus cléments en 1944 après le bombardement de la ville du Finistère.

Mais pourtant dès la fin des années 1910, le pépé avait abandonné les navigations au long cours, se rabattant sur le port de Brest. Puis ce sera celui de Saint Brieuc.

Comme toujours, de courtes anecdotes viennent ponctuer, baliser ce récit pour lequel JOSSE justifie ce besoin impérieux de l’avoir couché sur papier « En haute mer ou en escale dans l’un de ces ports où je pourrais tenter de t’adresser, en poste restante, cette lettre qui n’existe que pour garder une trace écrite de ton passage ici-bas et pour te dire, tout à la fois, ce que je te dois et combien reste fragile, mais ténu et tendu, le fil invisible qui nous relie ».

JOSSE a un besoin vital d’écrire sur les trépassés, ceux de Bretagne surtout : « Ces vies en morceaux, celles-ci comme tant d’autres, je ne peux m’empêcher de les ramener à la surface. Elles me façonnent. Elles m’aident à tenir. Me disent clairement d’où je viens ». Évoquer la mort sert de carburant de vie à l’auteur. Ces quelques pages intimistes, affectives, émouvantes, sont somptueuses. La langue, comme toujours, y est choyée, bichonnée. Ce petit livre, témoignage indirect et familial, à utiliser comme une bouée de sauvetage, est paru en cette toute fin d’année 2018 chez Le Réalgar de Saint Étienne. Il m’a été offert comme un cadeau, mais aussi un saint Graal.


(Warren Bismuth)

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