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mercredi 5 décembre 2018

Léon TOLSTOÏ « Les insurgés »


« Les insurgés » n’est ni le titre d’un roman, ni celui de l’une des cinq nouvelles composant ce recueil, c’est en revanche le thème principal et commun de ces nouvelles, toutes écrites après 1900, exceptée la première, rédigée en 1862.

-         Les décembristes : ce n’est pas à proprement parler une nouvelle mais bel et bien les trois premiers chapitres d’un roman inachevé. Les décembristes furent les acteurs d’une tentative de coup d’État en 1825 en Russie, au mois de décembre (d’où leur nom). Le début du roman raconte le retour d’exil d’un décembriste en 1856, juste après le célèbre siège de Sébastopol durant la bataille de Crimée. Il est difficile de parler de trois chapitres d’un roman que TOLSTOÏ voulait long et épais. Sachez seulement qu’il abandonne rapidement le projet pour en attaquer un nouveau, sur des thèmes assez proches. Ce nouveau roman s’appellera « Guerre et paix ». Rien que ça. Il sera rédigé entre 1863 (juste après l’abandon des Décembristes) et 1869. Quant aux « Décembristes », TOLSTOÏ tentera bien de les reprendre à la fin des années 1870, mais en vain.

-         Après le bal : écrit en 1903, remarquablement « Maupassantien » (TOLSTOÏ avait lu et apprécié MAUPASSANT), sur le passage à tabac, la bastonnade pour être précis, d’un condamné, frappé par des verges de soldats. Courte nouvelle très efficace.

-         Pour quelle faute ? : écrit en 1906. Après une insurrection en 1830, un polonais est exilé en Sibérie. Là-bas il va tenter de s’évader. Récit âpre et sombre d’après une histoire vraie.

-         Le divin et l’humain : écrit entre 1903 et 1904. Sont ici décrites minutieusement trois morts à venir, toutes bien différentes, avec un fort accent religieux – pas seulement dans le titre -, c’est la période emplie de foi de l’auteur, foi qui ne le quittera plus jusqu’à sa mort en 1910.

-         Notes posthumes du starets Fiodor Kouzmitch : écrit en 1905, il se base également sur des faits réels, et non des moindres. Ce Kouzmitch a existé. Il a vécu en sorte d’ermite en Russie au XIXe siècle, mais serait en fait Alexandre 1er, si si, le tsar, officiellement mort en décembre 1825, en plein coup d’Etat décembriste, un tsar que le pouvoir dégoûtait, qui aurait voulu reprendre sa liberté en se faisant passer pour mort (TOLSTOÏ avance ici ce qu’il appelle des preuves). 1825, les décembristes, la boucle est bouclée. D’autant que cette dernière nouvelle est restée elle aussi inachevée, qu’elle aurait dû être le début d’un grand roman. À en lire les premières pages, il aurait pu devenir le chef d’œuvre de TOLSTOÏ, ce début est absolument remarquable.

Ces « Insurgés » me paraît intéressant à bien des égards : la variété des tableaux, les adaptations judicieuses de faits historiques, des biographies partielles. Mais aussi le fait que, hormis le premier récit, tout est écrit après 1900, peut-être la période la moins connue concernant les fictions de TOLSTOÏ, qui alors se consacrait surtout à des essais.

Ce recueil me paraît l’outil idéal pour découvrir la pensée complexe de TOLSTOÏ : à la fois historien des guerres, pamphlétaire, révolté, religieux, biographe, et bien sûr immense écrivain qui fait vibrer sa plume en nous transmettant ses connaissances. Ce présent recueil est peut-être le plus solide à conseiller (toutes les nouvelles sont de très grande qualité), le plus abouti, le plus intéressant. Posez-vous un moment, effeuillez ce volume, vous en ressortirez telle une fleur épanouie. La traduction et les notes de Michel AUCOUTURIER sont d’une qualité exceptionnelle et rendent cet ouvrage indispensable aux Tolstoïen.ne.s. Je reviendrai bientôt voir TOLSTOÏ, il me manque déjà.

(Warren Bismuth)

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