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mercredi 22 mai 2019

Leslie KAPLAN « Désordre »

Leslie KAPLAN nous livre un ouvrage singulier intitulé « Désordre », où le bandeau ajouté par P.O.L indique de manière très lyrique un « ça suffit la connerie ! » fort prometteur.
64 pages, le format est pour le moins original car très court, presqu’autant que son contenu. Autant dire que ça se lit le matin, devant le premier café noir de la journée, avec ou sans cigarette, à votre convenance. Amoncellement de faits-divers, « Désordre » tient de la fable sociologique et présente au lecteur, un peu déstabilisé, il faut le dire, une suite d’événements, effet papillon, rébellion soudaine de la classe populaire ou de la classe moyenne contre les dirigeants du pays. Pourquoi déstabilisé ? Parce que l’on aurait presque envie de google-iser chaque événement pour le vérifier (j’avoue j’ai été tentée).
D’abord des actes isolés, on tenta de théoriser sur la question sans jamais arriver à comprendre le pourquoi du comment : les scientifiques même sont dépassés. Ces crimes « tout de même étranges, impersonnels, carrément fous » (p.13) ne sont pas immotivés. La folie fut évoquée elle aussi, sans succès.
La particularité de ces actes criminels tient au fait qu’ils ne semblent liés par rien de prime abord. Des événements isolés conduisant à la mort de l’un des protagonistes (souvent pris par surprise, ça aide) dans une perspective particulièrement individualiste : aucun ne se réclame d’un mouvement quelconque, aucun n’a le même mode opératoire, et la frénésie des crimes semblent s’étendre de plus en plus, et les journaux de titrer à la chaîne tous ces faits-divers. Ouvrier, vendeuse, enseignant, manutentionnaire, bibliothécaire, curé, et j’en passe, tous semblent mués par l’inexorable besoin de tuer son supérieur-e hiérarchique, un représentant de l’Etat, que sais-je tant qu’il occupe une fonction supérieure à la sienne.
Parfois complètement loufoque, à l’image de cet étudiant en médecine qui poignarda un conférencier en hurlant « cervelet toi-même », ces crimes résistent à toute tentative d’analyse malgré la mise en place de groupes de recherche interdisciplinaires. Certaines femmes crièrent au patriarcat, qu’il s’agissait là de guerre des sexes, ou de guerre des classes ou… les deux ? Les deux sont-ils compatibles ? Cela questionne aussi la convergence des luttes.
Un fraiseur, poussant sous un bus un député lâcha le fameux « ça suffit la connerie », qui fut repris, scandé par celles et ceux qui décidèrent eux aussi de se faire justice (mais contre quelle injustice précisément ?), tel ce que nous avons connu avec #metoo ou encore #balancetonporc
Vous l’aurez compris, cet ouvrage sorti en mai 2019 s’intéresse de très près, à sa manière, aux mouvements sociaux que l’Hexagone connaît depuis novembre 2018. Sans aucun parti pris, hormis celui de l’humour (assez grinçant je vous préviens), constatant à quel point ce besoin de théoriser, comprendre les luttes est parfois vain, que chacun-e finalement œuvre avec les moyens du bord pour essayer de s’élever contre des injustices qu’il est souvent difficile de catégoriser. Aujourd’hui, le mouvement social se veut rassemblement des individus sous le même étendard de l’égalité (des salaires, des sexes, des traitements fiscaux, etc.) mais Leslie KAPLAN, elle, reprend bien, à de nombreuses reprises le côté individuel, presqu’isolé de chaque acte. Qu’en penser ? Ce n’est pas à cette humble chronique de le dire, seulement je me dois vous conseiller, vous et votre esprit critique, de vous ruer sur ce court essai/cette courte fable et d’en tirer les leçons individuelles qui s’imposeront à vous.
(Emilia Sancti)

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