Leslie
KAPLAN nous livre un ouvrage singulier intitulé « Désordre »,
où le bandeau ajouté par P.O.L indique de manière très lyrique un
« ça suffit la connerie ! » fort prometteur.
64
pages, le format est pour le moins original car très court,
presqu’autant que son contenu. Autant dire que ça se lit le matin,
devant le premier café noir de la journée, avec ou sans cigarette,
à votre convenance. Amoncellement de faits-divers, « Désordre »
tient de la fable sociologique et présente au lecteur, un peu
déstabilisé, il faut le dire, une suite d’événements,
effet papillon, rébellion soudaine de la classe populaire ou de la
classe moyenne contre les dirigeants du pays. Pourquoi déstabilisé ?
Parce que l’on aurait presque envie de google-iser chaque événement
pour le vérifier (j’avoue j’ai été tentée).
D’abord
des actes isolés, on tenta de théoriser sur la question sans jamais
arriver à comprendre le pourquoi du comment : les scientifiques
même sont dépassés. Ces crimes « tout de même étranges,
impersonnels, carrément fous » (p.13) ne sont pas immotivés.
La folie fut évoquée elle aussi, sans succès.
La
particularité de ces actes criminels tient au fait qu’ils ne
semblent liés par rien de prime abord. Des événements isolés
conduisant à la mort de l’un des protagonistes (souvent pris par
surprise, ça aide) dans une perspective particulièrement
individualiste : aucun ne se réclame d’un mouvement
quelconque, aucun n’a le même mode opératoire, et la frénésie
des crimes semblent s’étendre de plus en plus, et les journaux de
titrer à la chaîne tous ces faits-divers. Ouvrier, vendeuse,
enseignant, manutentionnaire, bibliothécaire, curé, et j’en
passe, tous semblent mués par l’inexorable besoin de tuer son
supérieur-e hiérarchique, un représentant de l’Etat, que sais-je
tant qu’il occupe une fonction supérieure à la sienne.
Parfois
complètement loufoque, à l’image de cet étudiant en médecine
qui poignarda un conférencier en hurlant « cervelet
toi-même », ces crimes résistent à toute tentative d’analyse
malgré la mise en place de groupes de recherche interdisciplinaires.
Certaines femmes crièrent au patriarcat, qu’il s’agissait là de
guerre des sexes, ou de guerre des classes ou… les deux ? Les
deux sont-ils compatibles ? Cela questionne aussi la convergence
des luttes.
Un
fraiseur, poussant sous un bus un député lâcha le fameux « ça
suffit la connerie », qui fut repris, scandé par celles et
ceux qui décidèrent eux aussi de se faire justice (mais contre
quelle injustice précisément ?), tel ce que nous avons connu
avec #metoo ou encore #balancetonporc
Vous
l’aurez compris, cet ouvrage sorti en mai 2019 s’intéresse de
très près, à sa manière, aux mouvements sociaux que l’Hexagone
connaît depuis novembre 2018. Sans aucun parti pris, hormis celui de
l’humour (assez grinçant je vous préviens), constatant à quel
point ce besoin de théoriser, comprendre les luttes est parfois
vain, que chacun-e finalement œuvre avec les moyens du bord pour
essayer de s’élever contre des injustices qu’il est souvent
difficile de catégoriser. Aujourd’hui, le mouvement social se veut
rassemblement des individus sous le même étendard de l’égalité
(des salaires, des sexes, des traitements fiscaux, etc.) mais Leslie
KAPLAN, elle, reprend bien, à de nombreuses reprises le côté
individuel, presqu’isolé de chaque acte. Qu’en penser ? Ce
n’est pas à cette humble chronique de le dire, seulement je me
dois vous conseiller, vous et votre esprit critique, de vous ruer sur
ce court essai/cette courte fable et d’en tirer les leçons
individuelles qui s’imposeront à vous.
(Emilia
Sancti)
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