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mardi 16 juillet 2019

Christos CHRYSSOPOULOS « Athènes-Disjonction »

On pourrait ici s’attendre à parcourir un petit guide de voyage de la capitale grecque, il n’en est rien. L’auteur de ce bouquin s’est baladé durant trois années dans les rues d’Athènes, il en a tiré des photographies de tous ordres, et c’est par le prisme de ces instantanés qu’il va nous entretenir sur le Athènes d’aujourd’hui, en tout cas du XXIe siècle.

Une grosse trentaine de photos, des petits bouts de quartiers de la ville, mais avant tout des photos qui évoquent l’atmosphère de la ville, son âme, eût-elle été vendue au diable ou à l’un de ses représentants. Ce que l’on voit n’est pas toujours un simple cliché couleur, mais bien une courte tranche de vie d’Athènes, un grain de sable de son passé, et pourquoi pas de son avenir. L’auteur tend à faire comprendre qu’Athènes est une ville unique à l’univers singulier, comme décalée voire absurde : des chaises ou fauteuils trônant en pleine rue et parfois attachés comme un deux-roues, pour qui pour quoi ? Des morceaux de ville installés sur le bitume, que ce soit des chicanes brandissant fièrement des morceaux de bâtons, des colonnes ioniques (en fait d’immenses cendriers), des touffes d’herbe mangeant le béton, l’accouplement improbable d’un bout de poubelle et d’un demi lampadaire (peut-être la photo la plus absurde), un plot en béton enfilant comme sexuellement un cône de chantier, des branches de palmiers sorties de terre au centre d’une rue goudronnée. Je n’omets pas ce mannequin plastique grandeur nature habillé de sacs poubelles, ni ce no man’s land de détritus et carcasses au pied d’immeubles, ni ce globe bleu scintillant en plein centre d’une façade, sorte de boule à facette grotesque.

« Athènes dresse sans arrêt sur notre route des pièges insolites de ce genre. Des failles qui nous font un peu perdre le sens de l’orientation. Nous vivons dans une oscillation permanente entre ce qui est prévisible et ce qui est inattendu. Cela aussi fait partie du charme étrange qui nous retient ici ».

Entre fascination et peur, l’auteur ne sait pas vraiment sur quel pied danser. À la fois il aime, admire Athènes, mais il voit ce je ne sais quoi d’angoissant, tous ces détails inutiles voire dépassés, comme si la ville s’était délestée de sa chrysalide pour se métamorphoser en monstre incontrôlable. Tous ces clichés sont parlants si, comme l’auteur, on se penche un peu sur leurs significations : Athènes lézardée et épuisée, Athènes incompréhensible, faite de dérisoires petits grains de folie qui ne mènent à rien mais représentent un état d’esprit, une force, mais aussi une protection par l’absurde.

La préface est assurée par Edgar MORIN, en tout cas par un extrait de l’un de ses livres « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur ». Si ce futur semble quelque peu embrumé, CHRYSSOPOULOS ne verse pas dans la résignation, d’ailleurs la photo de couverture représente la statue d’un coureur, en plein ville, aux yeux étincelants, une image doublement non figée.

De courts textes accompagnent une partie des photographies, ils reflètent cette ville d’Athènes, ils sont des sous-titres aux instantanés, ils peuvent être cruels ou tendres mais toujours empreints d’un grand respect pour le cœur de la Grèce. La traduction assurée par Anne-Laure BRISAC, spécialiste de littérature grecque et Responsable des éditions Signes et Balises, fait encore un peu plus palpiter la ville, la rendant animale, sensuelle, en mouvement mais fragile, tout en lui offrant un aspect poétique, un cocon de protection. C’est sorti en 2016 chez Signes et Balises et ça m’a l’air absolument parfait pour une petite lecture estivale.

https://signesetbalises.fr/

(Warren Bismuth)

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