Ôtons respectueusement nos stetsons devant
ce petit bijou. « La dernière frontière » est le western
parfait : aucune fausse note, aucune virgule mal placée, aucun accent
oublié. Le scénario est très bref voire rustique : en 1878 la fuite d’une
bande de Cheyennes de leur « Territoire » (lire leur réserve) de
l’Oklahoma où ils étaient parqués, pour retrouver leur liberté et leurs terres
ancestrales toujours plus au nord, plus de 1500 kilomètres plus haut. 300
bonhommes et bonnes femmes, enfants, plus les chevaux, les chariots, la
poussière, ça doit se voir. Et pourtant, la tribu semble comme évaporée. Les
soldats du gouvernement États-unien sont chargés de les ramener coûte que coûte
dans leur réserve.
Une fois le décor planté, il faut quand
même ajouter pas mal d’ingrédients : des personnages rudes et expressifs,
des paysages somptueux, des soldats tiraillés entre le bien et le mal, des
Indiens plus pugnaces que prévu, la forte chaleur puis la neige. Et puis le style
d’écriture : pourtant simple il est envoûtant de bout en bout car
charpenté, puissant et imagé. Aucun des dialogues n’est superflu.
L’action s’étend entre juillet et décembre
1878, sauf pour le dernier chapitre qui empiètera sur 1879. Dans ce roman,
c’est bien la résistance indienne qui est mise en avant, des Indiens dépossédés
de leurs terres puis prisonniers en plein air par des blancs cupides pour lesquels
seul le développement d’une civilisation compte (celle qui ne respecte plus la
Terre, la nature, celle qui saccage égoïstement). Des Indiens qui vont aller
jusqu’au bout de leurs forces. Lors du moment peut-être le plus tendu du récit,
les soldats blancs sont 12000 pour capturer quelque 300 Indiens, une
démesure ! Les milices blanches se forment, à leurs têtes quelques fanatiques
engagés pour cramer du peau rouge après l’avoir affamé, notamment cette tribu
des « Dog Soldiers » en fuite. « Je n’en ai jamais vu un seul, jamais parlé à un seul, sauf à ce Métis,
Micky. Mais ils barrent la route au progrès. Comme les hors-la-loi. Le progrès
ne doit jamais être stoppé ». À méditer…
Et les médias qui s’en mêlent, et l’armée
des blancs qui leur demande d’étouffer l’affaire car l’humiliation est trop
forte, les Indiens étant toujours introuvables. Dans leur évasion, ni tuerie,
ni destructions, ni incendies volontaires, mais bien un respect de la nature et
de l’humain que les blancs ne comprennent pas. Quant aux soldats, ils piétinent,
n’avancent pas ou peu, font des demi-tours, s’empêtrent et se questionnent
devant l’agilité, la dextérité sans bornes des Indiens. « À cheval, les Cheyennes étaient des démons,
à peine humains, tout en spirales et tourbillons, aussi difficiles à atteindre
que des oiseaux en plein vol, combatifs comme des loups féroces si leur tribu
était menacée, ou se dérobant avec aisance face aux lourds chevaux gris ».
Puis est évoqué le fou Buffalo Bill
décimant des millions de bisons par intérêt, sans même utiliser leur chair,
seul la peau l’intéresse. Les bisons sont la nourriture première des Indiens,
donc l’extinction des premiers entraîne la famine des seconds. Mais au
fait « Pourquoi vous ne
parleriez pas des milliers d’hommes qui vivent paisiblement dans leurs réserves ?
Expliquez comment le gouvernement essaie de créer pour eux de nouvelles
conditions de vie et de les civiliser en l’espace d’une génération. Pourquoi ne
jamais dire un mot sur les Indiens jusqu’au jour où un engrenage se
grippe ? Il s’agit d’une grosse machine. Vous croyez que de tels
mécanismes pourraient tourner sans jamais la moindre panne ? ».
Howard FAST était communiste et humaniste,
il dépeint ici son propre ressenti, celui d’un homme accablé par tant de folie
humaine. Il prend ouvertement position politiquement, historiquement, le récit
est très documenté, très précis. Car tout ce qui est raconté dans ce livre est
la vérité, tout s’est effectivement déroulé, les bras nous en tombent. Un seul
des protagonistes du roman n’a pas existé, il est là pour témoigner des
atrocités commises par les seuls blancs.
Ce petit chef d’œuvre est paru en 1941
avant d’être traduit en français. Il sera magistralement adapté au cinéma par
John FORD en 1964 sous le titre « Les Cheyennes » (l’une des plus
grandes réussites du réalisateur, et même si Howard FAST n’est pas crédité au
générique, un oubli très regrettable). Cette « Dernière frontière »
est l’un des joyaux du roman western, il a bien sûr été retraduit (par
Catherine de PALAMINI) et réédité en 2018 en poche par Gallmeister, les ténors
des grands espaces. Ce bouquin est une magistrale chevauchée dans les
Etats-Unis du XIXe siècle, du sud au nord, pour des souvenirs en pagaille.
Incontournable dans le genre.
https://www.gallmeister.fr/
(Warren Bismuth)
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