Comme il aimait le rappeler, Jim HARRISON
était avant tout un poète. Son tout premier livre, « Plain-chant »
(1965), était d’ailleurs un recueil de poésies. Certains extraits en sont
proposés ici. Ce bouquin version poche est un florilège de la poésie d’HARRISON
qui retrace à peu près toute sa vie puisque puisée entre 1965 et 2010. Plus de
80 poèmes en prose, libres, sans obligation ni rimes ni règles.
Peut-être plus que dans ses autres récits,
HARRISON fait ici la part belle à la nature : oiseaux, fleurs, arbres, rivières,
plantes, plaines, vent, etc., mais aussi dans un sens plus personnel chiens,
pêche.
« Je
suis un américain basané qui se demande si
On
peut coller la civilisation avec du sang.
Le
mot écrit n’est plus compris.
Nous
avons des chiens depuis plus longtemps que des gouvernements.
Par
millions nous devons aller à Washington
Sans
parler mais en aboyant comme des chiens.
Nous
devons nous entraîner à aboyer et à l’unisson
Faire
un barouf de tous les diables. Le soleil est ambré
Et
l’on ouvre les portes bien huilées de l’enfer ».
Ce qui frappe, c’est l’évolution des
poèmes en parallèle avec l’évolution, bien sûr de son auteur, mais aussi des Etats-Unis.
La modernité est entrée dans les foyers, dans les pensées, la technologie s’est
emparée de nos esprits, besoin de retour aux sources, aux racines, celles des
arbres, de la nature, de la verdure, du calme, du repos.
« Cette
petite bouche liquide en forêt
S’appelle
une source mais c’est vraiment
Une
bouche liquide gardant tous les secrets
De
ce qui s’est passé ici, disant dans le langage
Non
grammatical de l’eau que le ciel était jadis plus
Proche
et qu’un fragment d’étoile calcinée a fait bouillir son eau ».
Évocation des poètes, des écrivains qui
ont compté pour l’auteur, l’ont porté, poussé à écrire. Car dans ce recueil de textes
choisis, HARRISON, comme toujours, se raconte, mais peut-être moins
gesticulant, plus pudique, plus intimiste. Certes, il n’a pas rangé son humour
au placard « C’était un de ces
matins où chacun de mes pieds disait merde à l’autre et je remontais le fond
d’un canyon d’un pas lent pour éviter de trébucher », mais il le rend
moins perceptible que dans ses romans ou ses récits de vie, il le dilue, il
semble plus silencieux devant Dame Nature, se sent plus petit, plus mortel. De
petites touches surréalistes viennent donner des couleurs. Mais la dominante
reste le vert (avec une teinte de blanc) : « En mai la rivière rugit au-delà du mince mur du sommeil, le monde de la
neige glisse encore en rigoles le long des pentes imperceptibles ; en août
à travers le grillage de la fenêtre auquel insectes et papillons grattent très
légèrement, aussi doucement que bruit la rivière ».
En constante contemplation devant tout ce
qui bouge, ici HARRISON oublie un temps les grands espaces pour se focaliser
sur ce qu’il a sous l’œil, son œil unique, mais aussi dans ses oreilles :
« J’entends
les chiens de berger dormir
Dans
la poussière, le grincement
Du
moulin domine les cris aigus
De
trente-trois groupes d’oiseaux en rut.
Les
vautours survolent si doucement
Les
corrals que l’air n’y fait pas attention.
Dans
tous les millénaires, passés ou à venir,
Aucun
jour ne se clone ».
Le HARRISON poète est une vraie claque, le
climat y est à la fois plus épuré, plus tendre, moins distancié, beaucoup plus
intimiste. On sent le cœur qui bat, même quand l’écrivain se fait vieux et
courbaturé. Ce choix de textes est parfait car il permet l’action dans le temps
et donne un âge approximatif au bonhomme qui les a rédigés. J’ai beaucoup
d’affection pour l’homme HARRISON, même si le romancier m’agace parfois. Mais
le poète m’a définitivement séduit, qu’il repose en paix. Cette version poche
est sortie en juillet 2018, la traduction est comme souvent assurée par Brice
MATTHIEUSSENT, elle est belle, tout simplement.
(Warren
Bismuth)
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