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dimanche 11 août 2019

Jim HARRISON « Une heure de jour en moins - Poèmes »


Comme il aimait le rappeler, Jim HARRISON était avant tout un poète. Son tout premier livre, « Plain-chant » (1965), était d’ailleurs un recueil de poésies. Certains extraits en sont proposés ici. Ce bouquin version poche est un florilège de la poésie d’HARRISON qui retrace à peu près toute sa vie puisque puisée entre 1965 et 2010. Plus de 80 poèmes en prose, libres, sans obligation ni rimes ni règles.

Peut-être plus que dans ses autres récits, HARRISON fait ici la part belle à la nature : oiseaux, fleurs, arbres, rivières, plantes, plaines, vent, etc., mais aussi dans un sens plus personnel chiens, pêche.

« Je suis un américain basané qui se demande si
On peut coller la civilisation avec du sang.
Le mot écrit n’est plus compris.
Nous avons des chiens depuis plus longtemps que des gouvernements.
Par millions nous devons aller à Washington
Sans parler mais en aboyant comme des chiens.
Nous devons nous entraîner à aboyer et à l’unisson
Faire un barouf de tous les diables. Le soleil est ambré
Et l’on ouvre les portes bien huilées de l’enfer ».

Ce qui frappe, c’est l’évolution des poèmes en parallèle avec l’évolution, bien sûr de son auteur, mais aussi des Etats-Unis. La modernité est entrée dans les foyers, dans les pensées, la technologie s’est emparée de nos esprits, besoin de retour aux sources, aux racines, celles des arbres, de la nature, de la verdure, du calme, du repos.

« Cette petite bouche liquide en forêt
S’appelle une source mais c’est vraiment
Une bouche liquide gardant tous les secrets
De ce qui s’est passé ici, disant dans le langage
Non grammatical de l’eau que le ciel était jadis plus
Proche et qu’un fragment d’étoile calcinée a fait bouillir son eau ».

Évocation des poètes, des écrivains qui ont compté pour l’auteur, l’ont porté, poussé à écrire. Car dans ce recueil de textes choisis, HARRISON, comme toujours, se raconte, mais peut-être moins gesticulant, plus pudique, plus intimiste. Certes, il n’a pas rangé son humour au placard « C’était un de ces matins où chacun de mes pieds disait merde à l’autre et je remontais le fond d’un canyon d’un pas lent pour éviter de trébucher », mais il le rend moins perceptible que dans ses romans ou ses récits de vie, il le dilue, il semble plus silencieux devant Dame Nature, se sent plus petit, plus mortel. De petites touches surréalistes viennent donner des couleurs. Mais la dominante reste le vert (avec une teinte de blanc) : « En mai la rivière rugit au-delà du mince mur du sommeil, le monde de la neige glisse encore en rigoles le long des pentes imperceptibles ; en août à travers le grillage de la fenêtre auquel insectes et papillons grattent très légèrement, aussi doucement que bruit la rivière ».

En constante contemplation devant tout ce qui bouge, ici HARRISON oublie un temps les grands espaces pour se focaliser sur ce qu’il a sous l’œil, son œil unique, mais aussi dans ses oreilles :

« J’entends les chiens de berger dormir
Dans la poussière, le grincement
Du moulin domine les cris aigus
De trente-trois groupes d’oiseaux en rut.
Les vautours survolent si doucement
Les corrals que l’air n’y fait pas attention.
Dans tous les millénaires, passés ou à venir,
Aucun jour ne se clone ».

Le HARRISON poète est une vraie claque, le climat y est à la fois plus épuré, plus tendre, moins distancié, beaucoup plus intimiste. On sent le cœur qui bat, même quand l’écrivain se fait vieux et courbaturé. Ce choix de textes est parfait car il permet l’action dans le temps et donne un âge approximatif au bonhomme qui les a rédigés. J’ai beaucoup d’affection pour l’homme HARRISON, même si le romancier m’agace parfois. Mais le poète m’a définitivement séduit, qu’il repose en paix. Cette version poche est sortie en juillet 2018, la traduction est comme souvent assurée par Brice MATTHIEUSSENT, elle est belle, tout simplement.

(Warren Bismuth)

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