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mercredi 2 mars 2022

Leonid ANDREIEV « Faits divers »

 


Les éditions Interférences ont l’excellente idée d’éditer dans un petit volume quatre courtes nouvelles de Leonid ANDREIEV (1871-1919) qui ne font pas partie des textes majeurs de l’auteur. Ces nouvelles, dans les mêmes traductions – signées Sophie BENECH, par ailleurs directrice d’Interférences –, rédigées au tout début du XXe siècle, étaient déjà parues près de 100 ans plus tard dans l’intégrale des proses d’ANDREIEV en cinq volumes aux éditions Corti.

Ces quatre nouvelles reflètent une infime partie du talent d’ANDREIEV, à savoir son don de l’observation et son empathie. Dans chacun des textes, dans lesquels il ne se passe d’ailleurs pas grand-chose, l’auteur russe scrute ses contemporains, avec amusement ou/et compassion. Que ce soit sous une pluie battante dans une gare où deux hommes se disputent devant un témoin, ou encore un homme marié soudain attiré par une jeune femme lors d’un trajet en omnibus alors que leurs mains se frôlent, qu’il tente de la suivre et la perd au dehors, que ce soit un médecin marié et empathique porteur dans la rue d’un cadeau – une lampe – pour sa femme et qu’un voleur pressé vient briser en percutant l’homme, ou pour finir un homme qui dans une petite gare rurale prend pitié d’un gendarme espérant un drame afin d’égayer ses journées, ANDREIEV retranscrit de minuscules tranches de vies.

Des protagonistes ici dépeints, nous ne saurons rien de leur passé ni leur devenir, nous serons juste témoins de quelques minutes ou quelques heures de leur vie, d’une action qui les as marqués, d’un coup de cœur éphémère ou du simple fait de se trouver en un lieu précis à un moment donné.

ANDREIEV fut très connu de son temps, puis tombé injustement dans l’oubli. Son style est riche, pur, il décortique avec minutie une scène d’allure banale, y ajoutant de petits éléments qui la rendent vivante. On peut voir dans ces quatre nouvelles le ANDREIEV peintre tant son écriture évolue par petites touches d’une maîtrise totale. De scènes grotesques ou ridicules comme caricaturales aux instants émouvants, ces textes sont aussi quasiment de courtes pièces de théâtre tant les dialogues y sont imposants et bien ajustés (n’oublions pas que ANDREIEV fut aussi un grand écrivain de théâtre), pouvant ici le rapprocher d’auteurs russes classiques, notamment GOGOL ou TCHEKHOV.

« Souvent, j’allais à la gare voir arriver les trains de passagers. Je n’attendais personne, et il n’y avait personne qui pût venir me voir ; mais j’aime ces géants de fer quand ils passent tout près en roulant des épaules et en se balançant sur les rails, ballottés par leur poids et leur force colossale, emportant quelque part des gens qui me sont inconnus, mais proches. Ils me paraissent vivants et extraordinaires ; dans leur vitesse, je sens l’immensité de la terre et la force de l’homme, et quand ils poussent leurs hurlements puissants et libres, je me dis : ils hurlent aussi de cette façon en Amérique, en Asie, et dans la torride Afrique ».

Deux de ces textes étaient parus dans le recueil « Le gouffre et autre récits », deux autres dans « Dans le brouillard et autres récits ». Et même s’ils ne sont pas les plus amples de l’auteur, et peut-être justement parce qu’ils sont imprégnés d’une atmosphère intimiste et extrêmement resserrée, ils sont à redécouvrir dans ces 85 pages de littérature purement russe avec leur noirceur habillée d’absurde et de tendresse. En fin de volume est présentée une brève chronologie de la vie de l’auteur, ainsi que l’une sur l’artiste belge Franz MASEREEL (1889-1971), ici illustrateur de couverture.

Les éditions Interférences, entre autres facettes, se sont spécialisées en littérature russe classique, proposant dans leur catalogue, outre le « S.O.S. » de ANDREIEV (que je vous recommande chaudement) des textes de PILNIAK, TSVETAÏEVA, AKHMATOVA, BABEL, CHALAMOV, BOUÏDA, ZAMIATINE (« La caverne », immense moment de littérature russe), TIOUTTCHEV et quelques autres. Un éditeur qui sait prendre des risques, donc forcément à soutenir d’urgence. Ce « Faits divers » est sorti fin 2021, il en est un chaînon non négligeable.

http://www.editions-interferences.com/

 (Warren Bismuth)

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