La collection Versant Intime des éditions Arthaud est de ces petites collections qui valent un arrêt. À raison d’une à deux publications chaque année, Versant Intime ne fait guère parler d’elle malgré cet esthétisme accrocheur : ces couvertures couleur papier kraft. Chaque fois, un écrivain se confie par le truchement d’une interview, il se dévoile, se confesse. Et le dernier à s’être prêté au jeu n’est autre que le grand René Frégni, c’est dire si le moment est grave.
À l’instar de cette collection, René Frégni, né en 1947, est discret et quand il veut revenir sur son passé, c’est généralement par la fiction qu’il choisit ses armes. Cependant, dans cette interview réalisée en 2024 par Fabrice Lardreau, il répond en un face-à-face littéraire autant qu’une quête de souvenirs d’enfance. Frégni s’allonge sur le canapé, et c’est parti !
Frégni revient en détail sur le Marseille de son enfance, sur son éducation modeste, le naufrage de sa scolarité, les premières bandes, les premiers méfaits, les premiers contacts avec la justice. Et puis le portrait de la mère, adorée, vénérée, brandi en figure tutélaire. Juste derrière, encore et toujours pointent les rivages de Marseille, ville cosmopolite où « La nouvelle génération d’immigrants n’a plus trouvé de travail. Tout était construit ». Le trafic de drogue s’implante…
Mais cet entretien est aussi une marche littéraire. Aussi, Frégni se souvient de ses premières lectures puis des écrivains qui l’ont marqué à tout jamais : Giono bien sûr, mais aussi Céline, Dostoïevski, Jim Harrison, ou les auteurs « locaux » mais à réputation notoire : Izzo, Pagnol. Toujours le local avec ce football, fédérateur, entité de mixité sociale dans un Marseille désorganisé. Dans la littérature, son éducation aux thèses révolutionnaires par le biais d’essais fut primordiale.
Frégni a toute sa vie côtoyé la prison, en tant qu’incarcéré puis visiteur. C’est en 1966 qu’il est emprisonné pour la première fois, à Verdun, comme déserteur. Le lieu géographique semblait tout trouvé. Son père aussi a tâté du cachot, durant l’occupation et sa police vichyste qui n’appréciait guère les gestes de résistance. René quant à lui s’échappe de taule, direction la Corse où il possède de profondes racines familiales. Puis ce fut la prison côté face, animateur d’ateliers d’écriture pour prisonniers depuis 1990, une vue égalitaire faite de partage et surtout pas de leçon à donner. Il continue d’ailleurs aujourd’hui sa mission.
C’est lors de sa première incarcération que Frégni a découvert sa vocation d’écrivain, pendant la lecture de « Colline » de Giono qui reste son maître absolu. C’est juste après qu’il a tracé la route, traversé de nombreux pays, notamment ceux du sud-est européen, clandestinement, c’est là qu’il est devenu révolutionnaire « pour de vrai » tout en vagabondant. Il fut longtemps auxiliaire en psychiatrie avant de se retirer à Manosque, la ville de Giono, bien sûr. Il démissionne de la Fonction Publique en 1979, son premier livre est publié en 1988, il s’appelle « Les chemins noirs », bien d’autres suivront. Frégni mérite le respect, il est de cette trempe d’autodidactes qui ont un jour tout plaqué pour vivre leur rêve, vivre de leurs rêves. « Je suis un rêveur qui marche », car c’est de la marche, quotidienne, que lui vient l’inspiration.
L’entretien bivouaque sur le roman noir, le polar, alors que Frégni, en vrai rebelle indompté, se dresse contre l’injustice. Le jeu des questions-réponses se termine, et Frégni propose un prolongement de cette sorte de biographie, d’autoportrait, par la fiction, celle qui l’a inspiré sa vie durant. Il choisit quatre lectures, en dit quelques mots sur la raison de son choix, puis offre quelques extraits mûrement réfléchis. La scène complète de l’étudiant Raskolnikov tuant à coup de hache une usurière puis sa sœur dans « Crime et châtiment » de Dostoïevski, peut-être la plus belle et la plus suffocante scène de toute la littérature (« Chez Dostoïevski, nous avons affaire à un assassin, mais c’est un jeune étudiant malade, fiévreux et désargenté qui a faim, qui tremble dans un vieux manteau. Et j’étais comme ça : je n’avais qu’un vieux manteau, je dormais n’importe où, dehors, partout… »). Puis c’est le tour de « L’étranger » de Camus (une autre des références majeures de Frégni), de « La ballade du café triste » de Carson McCullers. Le livre se referme presque « naturellement », par quelques pages de Giono, puisées dans « Le hussard sur le toit ».
Ce « Déserter » est un moyen impeccable de mieux connaître Frégni par-delà ses formidables livres, dont « Je me souviens de tous vos rêves », « Minuit dans la ville des songes, « Dernier arrêt avant l’automne » ou autre « Les vivants au prix des morts ». Il est une extension des fictions, il permet de mieux cerner le parcours et le caractère, mais aussi la raison d’être de l’écrivain et de l’homme René Frégni.
(Warren Bismuth)
Je n'ai lu que "Elle danse dans le noir", mais quel choc...
RépondreSupprimerJ'en ai lu pas mal de cet auteur, mais pas celui-ci, merci !
RépondreSupprimerJ'ai tellement adoré Minuit dans la ville des songes! Merci de me rappeler cet auteur que je veux continuer à lire !
RépondreSupprimerOh oui très beau livre Violette ! Un de mes préférés de l'auteur avec "Je me souviens de tous vos rêves".
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