Née Rose-Marie, Rosie Carpe est une femme qui malgré son jeune âge a déjà vécu maintes vicissitudes. Elle et son fils Titi (Etienne), 6 ans, vont rejoindre en Guadeloupe Lazare, frère aîné de Rosie, après 5 ans de silence. Immédiatement un mystère à propos du passé de la famille Carpe se crée. Rosie est alors enceinte d’un second enfant et ses parents vivent eux aussi désormais en Guadeloupe.
Les souvenirs surgissent et prennent vite une place prépondérante dans le récit : enfance à Brive-la-Gaillarde, déménagement à Paris, juste pour Rosie et son frère, les parents ne les rejoindront que bien plus tard sans toutefois nouer de liens cordiaux avec leur fille qui sombre dans l’alcool et l’apathie, dans le stupre et les sex-tapes.
Rosie revoit donc son frère Lazare en Guadeloupe après de nombreuses péripéties. Il n’est plus le même homme, ayant entreprit un commerce nébuleux avec son ami Abel. Elle fait connaissance avec Lagrand, un noir dont la mère est internée. C’est lui qui incarne à lui seul tout le peuple de Guadeloupe. C’est aussi lui qui s’occupe d’un Titi à l’abandon, notamment lorsque ce dernier tombe malade, tandis que les parents de Rosie semblent désormais mener grande vie, se détournant toujours plus de leurs deux enfants. C’est par le prisme de Lagrand que l’histoire nous est lentement dévoilée, alors que les rebondissements se succèdent en cascades sur fond de racisme « ordinaire » (comme si le racisme pouvait être ordinaire).
« Rosie Carpe » est un roman dérangeant, particulièrement poisseux et malséant, sans doute par le fait que les personnages, hormis Lagrand, sont antipathiques, refermés comme des huîtres, taiseux et/ou manipulateurs. L’écriture froide et distanciée de Marie Ndiaye colle parfaitement à son sujet, grave voire désespéré. Car aucun espoir ne paraît vouloir émerger des protagonistes, écrasés par leur propre existence, ayant en partie cessé de lutter, alors qu’un meurtre se déroule sous les yeux de certains d’entre eux.
Tout semble effrayant dans ce roman paru en 2001 aux éditions de Minuit. Le style de l’autrice, littéraire aux phrases longues et idées imbriquées, contribue à mettre le lectorat mal à l’aise. Rien ne vient sauver ce tableau de quasi naufragés dans un scénario laissant entrevoir une embellie avant de revenir subitement au même point, le tout rythmé par la perversité de personnages se mentant à eux-mêmes. Et la réminiscence de la couleur jaune, celle de la maison de Brive, couleur pourtant si chaude, ne permet aucun souffle salvateur, tout est pourri dans cet environnement familial vicié.
« Rosie Carpe » est un roman de la fuite puis de la non rencontre, de l’abandon à soi-même comme aux autres, c’est aussi une analyse profonde et sombre des relations familiales perverties, de l’échec cuisant de la notion même de famille. Seul ce Lagrand tire son épingle du jeu, il pourrait bien être le seul humain, en tout cas le seul humaniste du récit. Le décor est la Guadeloupe, touchée par la misère, les trafics en tous genres ainsi que le racisme ambiant. La chute, soignée, laisse pourtant entrevoir une lueur d’espoir, mais Marie Ndiaye préfère clore son sujet avant cette éventualité. Roman de la désolation à lire en apnée pour des nuits agitées, il ne se laisse pas apprivoiser facilement tant il sent la bile et possède un persistant goût de nausée. Mais l’expérience, quoiqu’un brin traumatisante, vaut largement le détour. 340 pages à lire lorsqu’on se sent suffisamment armé psychologiquement pour l’affronter par la face nord, la plus froide.
http://www.leseditionsdeminuit.fr/
(Warren Bismuth)
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