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dimanche 24 août 2025

Aziz CHOUAKI « Les oranges »

 


Ce n’est certes pas la première fois pour ce défi mensuel, mais Seigneur j’ai péché. Mieux : j’ai encore triché ! Relisons l’énoncé du mois : « La littérature africaine » proposé ce mois par « Les classiques c’est fantastique » du blog Au Milieu Des Livres de Moka. Et c’est là que le bât blesse : « Les oranges » est-il un classique ? Pas vraiment puisqu’écrit en 1998. Mais il se trouvait sur ma pile à lire, il n’attendait qu’à être dévoré, et l’occasion était unique, donc voilà. Et pardon.

Aziz Chouaki (1951-2019) est né français puisque dans le département de l’Algérie. Il devient algérien lors de l’indépendance de son pays, qu’il quitte en 1991 pour rejoindre la France. « Les oranges » est un texte bref, entre monologue théâtral (il fut monté au théâtre), poésie hallucinée, fable et récit de vie d’un pays, l’Algérie.

Le titre est tiré de la légende de l’orange dans laquelle est planté une balle : « À partir d’aujourd’hui, tu es désigné par le Royaume des Oranges pour établir la légende de ta race. À présent, tu vas me faire le serment que voici : ‘Je jure d‘enterrer à jamais cette balle le jour où tous les gens de cette terre d’Algérie s’aimeront comme s’aiment les oranges’ ».

De 1830 à l’aube des années 2000 défilent des images, des dates fortes de l’Histoire de l’Algérie, entre allégorie et déambulation dans l’effervescence des rues d’Alger, inter générationnelles, par delà les morts et les tragédies. Ainsi nous croisons l’émir Abdelkader, Tocqueville, des écrivains français (ceux de la métropole) et tant d’autres. Les terres colonisées par la France, les premières tensions vives, la culture imposée, etc. « Voilà mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes. Tuer tous les hommes jusqu’à quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot, anéantir tout ce qui ne rampe pas à nos pieds comme des chiens ! ».

Entre cynisme, humour et engagement, Chouaki se souvient, énonce, évoque, dénonce. Exaction, massacres, alors que les algériens vont rejoindre l’armée française pour combattre à ses côtés lors des deux guerres mondiales. Et puis 1954, le début de la guerre d’indépendance qui ne dit pas son nom. Les yeux d’Albert Camus qui regardent le drame en cours. Basculement, sorte de révolution intérieure. Algérie libérée, marxisme proclamé. Déconstruction des apports français, volonté d’autonomie totale. Le texte scande comme au cœur d’une manifestation, le rythme est rapide, le souffle manque. Présidence autocratique de Houari Boumédiène, qui meurt en 1978, remplacé par Chadli Bendjedid jusqu’en 1992. C’est le temps de la montée inexorable des islamistes, les législatives qu’ils remportent en 1991 lors des premières élections libres dans une corruption généralisée après une insurrection sanglante en 1988 (plus de 600 morts nous dit l’auteur).

La pays bascule du marxisme à l’islam, les rues changent, les vêtement aussi, les discours bien sûr. Les élections ont été annulées et le Front Islamiste du Salut dissous. Il passe dans la clandestinité, règle leur compte aux intellectuels et écrivains, considérés comme la menace intérieure majeure. La population est prise de terreur, les assassinats, les attentats se succèdent, le pays est devenu incontrôlable et pourtant contrôlé par les fanatiques religieux.

« Les oranges » est de ces textes importants, en quelques dizaines de pages il retrace 160 ans d’histoire algérienne de la colonisation française à la décennie sanglante, il pointe toutes les dates cruciales dans un style exubérant, puissant, profond et quasi hors sol, il déborde, il prend partie, il ricane du malheur pour ne pas montrer ses larmes. La postface est signée Christiane Achour et Benjamin Stora, elle rend hommage à ce texte original et violent paru originellement aux éditions Mille et une nuits, vous savez ces tout petits livres par leur format renfermant des textes qui résonnent par delà les décennies voir les siècles.

(Warren Bismuth)



9 commentaires:

  1. L'intérêt du propos vaut largement la légère "tricherie." Merci pour ta participation !

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  2. L'ourse bibliophile25 août 2025 à 02:13

    Court, mais efficace de toute évidence ! Je note, je note.

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  3. Oh je note ce titre que je ne connaissais pas mais dont tu parles très bien (et qui valait bien une "tricherie"!).

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  4. Pas facile de trouver un "vrai" classique africain... Un bon choix quand même ! Je ne connais pas mais je note et je vais demander à ma meilleure amie si elle connaît !

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    1. Des Livres Rances27 août 2025 à 14:39

      Une manière originale de lire l'histoire algérienne !

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  5. Tu m'as fait rire avec ta "tricherie"... jusqu'à ce que je me rende compte que 1998 bah mine de rien, c'est presque trente ans... donc pas tant de tricherie que cela (et pas de rajeunissement de mon côté non plus).
    Voilà un titre intéressant capable en si peu de pages de dérouler toute l'histoire algérienne contemporaine. Je me le note.

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    1. Des Livres Rances27 août 2025 à 14:40

      Oui tu as raison ce n'est pas tout jeune, mais je m'en voulais un peu de ne pas avoir proposé du plus "classique".

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