En 2023 sort le film documentaire
« Vivant parmi les vivants » de Sylvère Petit, tourné entre août 2020
et août 2023, s’immergeant au centre du causse Méjean dans les Cévennes et
suivant le cadavre d’un vieux cheval de Przewalski à l’aide de sa caméra, qu’il
prénomme… Caméra ! En 2025, le réalisateur nous propose de découvrir les
coulisses de ce film, et l’on ne s’ennuie pas !
Sylvère Petit raconte comment il a pu rester
sept jours auprès du cadavre de celle qu’il a prénommée Stipa. Il a même suivi
ses derniers jours passés sur le causse Méjean (accessoirement peut-être le
lieu le plus lunaire qu’il m’ait été permis d’explorer, lunaire au sens
littéral !) avant qu’elle ne s’écroule de vieillesse et de fatigue. Là,
Sylvère Petit tient son film. Car il attend les vautours qui viendront nettoyer
le sol de la chair de Stipa. Seulement, les purificateurs se font attendre.
Du fond de son caisson d’observation noir
d’un mètre carré le réalisateur se confie : son enfance passionnée près de
la nature, ses premières photographies animalières, son parcours. Mais aussi
l’histoire de ces chevaux de Przewalski, ceux que l’on croise encore
aujourd’hui sur le causse, bien qu’ils aient été quasiment éteints à la fin des
années 1960, alors que de nos jours, nous assistons à la plus phénoménale
extinction de masse depuis que la terre existe : « Depuis à peine cinquante ans, c’est
l’hécatombe. J’arrête pas de le répéter à Caméra. On a perdu 30 % des oiseaux,
70 % des vertébrés, et 80 % des insectes. Monoculture, chimie, disparitions des
haies, destruction des sols, bétonisation, immeubles de verre, polluants
éternels, éoliennes, pétrole à gogo… ».
Il faut revenir aux années 1980 et à la
pollution à tout crin, l’inconscience collective de la catastrophe écologique
pourtant déjà en cours dans une société de surconsommation produisant des
montagnes de déchets. Sylvère Petit s’initie alors au problème, se rapproche de
la nature et du vivant, culpabilise mais va de l’avant.
Le causse Méjean : aride (aucun cours
d’eau ne le traverse), perdu, brûlant l’été, glacial l’hiver, du vent frappant
incessamment cet espace vide et quasi surnaturel. De ce paysage, Sylvère Petit
nous entretient à la fois de son présent dans son cube noir, attendant les vautours,
et de son passé ainsi que de l’histoire globale de la Terre dans un sens
écologique. Mais pas de manière austère. Au contraire, il use sans contrainte à
la fois de la langue orale, mais aussi de l’humour qui l’accompagne tout au
long du récit, celui qui fait presque relativiser le constat amer que la
planète est dans un état lamentable.
Sylvère Petit a donc commencé comme
photographe animalier (dont il publie ici quelques clichés), spécialité dont il
retrace d’ailleurs brièvement l’histoire dès le XIXe siècle. Il décortique
aussi sa propre motivation pour s’être tourné vers cet art, dans un processus
de la photographie comme mémoire collective, avant de nous entretenir, toujours
avec drôlerie, vers sa démarche de réalisateur animalier et son désir de
tourner des « films interespèces »
où l’humain n’est plus au centre de l’écran, et l’animal plus du tout dans un
rôle où l’humain l’attend.
L’auteur va s’attarder sur sa découverte
puis sa rencontre déterminante avec la philosophe animalière Vinciane Despret,
par ailleurs préfacière du présent ouvrage, puis de celle cruciale avec Baptiste
Morizot, ici postfacier, deux personnages auxquels il doit tant !
« En attendant les vautours », en
plus d’être la genèse du film documentaire « Vivant parmi les
vivants », est une brève autobiographie de l’auteur, mais surtout une radiographie
de la planète et de sa nature, une dénonciation de l’anthropomorphisme, tout
comme une remise à plat d’un certain vocabulaire. En effet, l’auteur remet en
question la notion de protection de la nature à laquelle il préfère celle de
défense, la défense laisse les vivants non humains en libre évolution alors que
la protection est une action avant tout humaine, pour s’autoprotéger.
« En attendant les vautours » est
un petit régal de lecture, on apprend en souriant, l’approche, bien que
scientifique, se faisant avec des mots simples dans une langue facile d’accès.
Quant aux fichus vautours, vont-ils enfin se mettre à table pour nettoyer le
causse de la dépouille de Stipa ? Vous le saurez en toute fin d’ouvrage.
« En attendant les vautours » se lit d’une traite et de préférence au
bord d’un cours d’eau, il est paru en 2025 dans la somptueuse collection Mondes
Sauvages de chez Actes sud, une collection que je n’ai pas fini de découvrir.
https://www.actes-sud.fr/recherche/catalogue/collection/1899?keys=
(Warren Bismuth)

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire