Étonnant livre que cet « Hôtel
rouge ». Athènes, Grèce, période incertaine mais contemporaine. Structure a priori théâtrale avec Lilette
(« La voix ») et son passé lourd qu’adulte elle tente enfin de
dévoiler. En écho, sa conscience, sorte d’avocate (« Le souffle »)
qui la questionne, l’amène à aller plus loin dans ses souvenirs, ses
traumatismes, à développer ses souffrances brutes pour provoquer un début de
résilience. Et puis il y a cette voix off, terrée quelque part, assistant à la
conversation (« Les oreillyeux ») qui intervient pour décrire le
visuel des scènes mais aussi les sentiments de La voix à l’instant T. Sans
oublier les « Simulacres », aux apparitions rares et souvent sous une
forme différente. Ils représentent en effet les morts, les fantômes, les
revenants qui précisent ou contredisent la pensée de La voix.
La voix qui se souvient, mais mal, parfois
plus du tout, La voix dont la famille lui était insupportable, qui lui rendait
la vie impossible, douloureuse, en forme de calvaire, de pénitence. Retour sur
la mort du grand-père à 98 ans (il semblait avoir un faible pour La voix), sur
le père de La voix dont elle a vu la dépouille (nouveau traumatisme). La voix
cherche à discourir sur des faits, vagues, des situations brumeuses, sa mémoire
semble avoir tout effacé.
Tout ? Non pas vraiment, mais si elle
parvient à narrer une scène quelconque, elle n’en connaît souvent pas la fin
malgré l’aide de Le souffle. La voix : fille unique qui apprend plus tard,
bien plus tard, peut-être trop tard, qu’elle a un frère, qu’elle aimerait
aimer, lui. La voix, cette Lilette, s’est toujours sentie rejetée par ses
proches, ses parents, sa famille. Sans doute sa tendance à être un garçon
manqué. Elle préfère les loisirs masculins, la compagnie des hommes, de son âge
ou non.
Son enfance : « (La voix) va subitement découvrir quelque chose
qu’elle savait, mais qu’en réalité elle n’avait pas comprise : qu’un
enfant est obligé de vivre avec les attentes des adultes. Et que le passé ne
peut jamais prendre une forme définitive, parce que sa signification, c’est la
représentation qu’il en donne à un moment donné, et on le revisite, on le
remanie, on le subvertit toujours en fonction d’un présent déterminé. Et même
quand on se dévoile, on affabule ».
Ses souvenirs sont confus, sont énumérés
dans une souffrance inestimable, un être dynamité, réduit à ne plus vraiment
chercher les causes de son mal-être. Une créature incomprise, abandonnée :
« Le problème c’est que les gens
dont je me sens le plus éloignée sont ceux qui me connaissent « le
mieux », et que l’idée qu’ils ont de moi est enracinée, figée, et ils ne
font aucun effort pour en changer, c’est pourquoi cela n’a aucun sens, c’est
complètement superflu de vouloir leur expliquer avec des mots vu que les mots
sont des petits actes, et que j’en ai assez. Quoi que je leur dise, ça leur
glisse dessus comme la pluie sur les plumes d’un canard ».
Il y a les intermèdes sonores, bruitistes,
pour rajouter une énigme, un mystère. Théâtre ? Pas seulement. Des poèmes
en prose viennent s’intercaler ainsi que des dialogues du passé. De quel
passé ? Pas de réponse sur ce point, mémoire confuse, encore. Le
tête-à-tête avec Rolf, le frère. Quand ? Où ? Comment ? On
serait même tentés d’ajouter « pourquoi ? ». Les deux dernières
pages : poème puis conte, puis monologue. L’écriture est parfois dure,
vindicative peut-être, toujours ronde, voire sensuelle, ciselée. À ce propos,
mention spéciale à la superbe traduction de Anne-Laure BRISAC. Cet « Hôtel
rouge » vient de sortir chez Quidam éditeur, collection Made In Europe.
Son originalité et la souffrance qu’il dégage ne vous laisseront pas de marbre.
(Warren Bismuth)
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