NABOKOV
disait de lui-même en 1964 « Je suis
un écrivain américain, né en Russie et formé en Angleterre où j’ai étudié la
littérature française avant de passer quinze ans en Allemagne. Je suis venu en
Amérique en 1940 et j’ai décidé de devenir citoyen et de faire de ce pays mon
foyer ».
L’intégrale
des nouvelles de NABOKOV (1899-1977) est ici publiée (en 2010), pas moins de 68,
présentées par ordre chronologique, écrites entre 1921 et 1958. Ce qui retient
l’attention, et en écho à la phrase d’introduction de cette chronique, ce sont
les diverses influences de style de l’auteur : on y sent comme un vent
russe, une brise allemande, un souffle français et bien sûr une légère
bourrasque états-unienne, le tout souvent proche des romans classiques du XIXe
siècle pour l’atmosphère générale.
Les
premières nouvelles s’avèrent peut-être un poil maladroites ou hésitantes, mais
très vite la plume se met en place. Curieusement, c’est pourtant dans ses premières
nouvelles que l’on peut ressentir la plus grosse influence outre-Atlantique
alors que l’auteur vit en Europe. On voyage comme des forcenés (l’écrivain a
énormément déménagé dans sa vie) dans des récits qui souvent se déroulent dans
un train ou autre moyen de transport, jusqu’à la période où NABOKOV ira
justement habiter aux U.S.A. À ce stade, elles se feront plus sédentaires (mais
pas toujours).
Il
est beaucoup question d’exilés russes établis à Berlin (comme NABOKOV), leurs
vicissitudes du quotidien, avec parfois une grande introspection. Et les
femmes, très présentes, pour des amours boiteuses, déchirantes, sans suite. La
ville, longuement dépeinte, fait figure d’héroïne centrale. D’ailleurs NABOKOV
écrivait comme on peint, en maniaque du sens de la description, établissant de
grands tableaux épiques constellés de détails ajoutés parcimonieusement en touches
sombres.
Étonnamment,
c’est une fois implanté aux Etats-Unis que NABOKOV écrit le plus longuement sur
la Russie devenue l’U.R.S.S., celle qu’il a pourtant quitté vingt ans plus tôt.
Plus on avance dans ces nouvelles, plus le passé semble ressurgir, enserré dans
une langue poétique, maniérée et exigeante.
À
de nombreux égards, NABOKOV ne peut pas être taxé d’écrivain politique, même si
elle est là, en fond, comme une ombre, mais rarement elle prend le dessus sur
la tranche de vie contée. NABOKOV a fait de l’écriture un art. Le reproche
majeur consiste toutefois peut-être dans le fait que NABOKOV raconte la classe
aisée, l’aristocratie (dont il était issue), ce qui peut engendrer une certaine
lassitude. L’ouvrier, le prolétariat, la misère sociale sont à peu près absents
de cet épais recueil. Il n’empêche qu’il renferme de petits chefs d’œuvre, je
pense à des nouvelles époustouflantes comme « L’extermination des
tyrans » (peut-être la plus politique) « Un poète oublié » ou
encore « Le temps et le reflux ».
Cette
intégrale de plus de 850 pages ne se lit pas d’une traite bien sûr, elle
demande réflexion, digestion, notamment sur les nombreuses influences
littéraires évoquées ci-dessus, rendant de fait NABOKOV inclassable. En début
de volume, une biographie détaillée de l’auteur ainsi que de nombreuses
photographies, le recueil est complet et visuellement plaisant. Il permet de
mieux appréhender un auteur dont jusqu’ici je ne savais somme toute pas
grand-chose. Le mal est réparé, tout ceci grâce à un ami proche, l’un des plus fidèles,
des plus attentifs, des plus à l’écoute, donc des plus précieux, qui a su me
faire aller au-delà de ma zone de confort (même si la Russie est souvent
évoquée…), qui m’instille patiemment son goût de la littérature vue comme art
majeur pour l’un de ces pavés envoyés comme un témoignage de la littérature du
XXe siècle. Grâce lui soit rendu ici.
(Warren Bismuth)
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