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dimanche 3 novembre 2019

Didier DAENINCKX « Novellas 3 »


« C’est toujours ainsi que j’ai procédé : jeter des passerelles de fiction entre deux blocs de réalité. Un peu comme on traverse un torrent en s’appuyant sur des rochers épars. J’ai résolu pas mal d’affaires avec cette méthode et j’étais surpris, souvent, de voir mes hypothèses se confirmer. D’autant que j’imagine toujours le pire ».

Depuis plus de 35 ans Didier DAENINCKX est un raconteur d’histoires, mais suivant une recette bien précise : historiques et politiques, surtout en France, par le prisme de la fiction, en agglomérant des personnages fictifs à des faits divers ou affaires réels, les présentant souvent sous forme de polar, d’une plume militante, celle de l’extrême gauche. Ce recueil de novellas (longues nouvelles ou courts romans) ne déroge pas à cette règle bien huilée. DAENINCKX est un auteur prolifique, entre nouvelles, romans, livres pour la jeunesse, scénarios de BD, c’est un touche à tout de l’écriture engagée. Son but est de faire renaître des histoires oubliées ou malmenées en leur temps par les médias. Il tient absolument à la vérité. Sur ce point, il peut être vu comme un historien doublé d’un journaliste. Il ne s’attarde pas sur le style (même si celui-ci est fluide), il se focalise sur la documentation, sans relâche, tel un forçat.

Dans ce troisième et ultime recueil de 14 novellas, DAENINCKX balaie le XXe siècle, en France mais pas seulement. Son humanisme, sa révolte, son obsession du détail caché en font un écrivain des classes populaires. Il est l’un de ces derniers baroudeurs du roman noir politique et historique qui eut son heure de gloire en France dans la seconde partie du XXe siècle. La plupart de ses représentants sont morts. À 70 ans DAENINCKX continue infatigablement à faire vibrer les mémoires. Souvent la fiction n’est qu’un prétexte pour rendre hommage à des humains, des collectifs. Comme dans ce « Non à la guerre ! » où il profite d’une action en pleine première guerre mondiale où les pruneaux fusent au-dessus des protagonistes pour faire une éclatante révérence à Jean JAURÈS.

Il sait aussi régler ses comptes, la « suite espagnole », mini-trilogie sur la guerre d’Espagne et certaines de ses ramifications, en est l’exemple parfait : la réputation de l’un de ses aïeuls ayant été piétinée par l’extrême droite, il remet les pendules à l’heure et rétablit la vérité avec le premier volet qui ne doit pas grand-chose à la fiction.

DAENINCKX a connu pas mal de problèmes dans sa carrière, eu un joli paquet de procès (qu’il a par ailleurs souvent gagnés), mais il continue vaille que vaille, indifférent aux menaces. Ce recueil est un exemple probant de l’univers de DAENINCKX, populaire et historique, facile d’accès et politique, se voulant objectif mais militant, voire violent. Et alors que je vous présente avec légèreté ces quelque 550 pages sorties au Cherche-Midi éditeur en 2017, les éditions Verdier ont sorti en octobre dernier un impressionnant recueil de 76 nouvelles (donc format plus court) sur environ 800 pages, il retrace (dans l’ordre des dates des événements présentés dans les nouvelles s’il vous plaît) un siècle ½ d’Histoire de France, avec même des nouvelles se déroulant dans un futur proche. DAENINCKX représente, presqu’à lui seul aujourd’hui, la mémoire de ce style populaire du XXe siècle, il en est peut-être le dernier ambassadeur. Pourtant à le lire, il ne paraît pas obsolète. Et accessoirement nous constatons que puisqu’il fait figure de dernier combattant, il n’en est que plus précieux, à conserver jalousement dans du formol. On peut ne pas être d’accord avec lui, mais c’est justement ce qui fait aussi sa force, et son climat. Et en fin de compte on a le sentiment, en refermant l’objet, d’avoir appris et même noté quelques références qui pourront resservir lors de soirées mondaines.

(Warren Bismuth)

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