Cet
ouvrage est sorti en 1935. La seconde guerre mondiale n’a pas encore pointé son
nez, GIONO n’a pas encore eu de gros ennuis. Il est jeune, plein d’espoir, très
contestataire par son analyse anarchiste et pacifiste (c’est cette dernière qui
va bientôt lui coûter cher). « Les vraies richesses » est de ces
livres inclassables : peut-être un peu roman en partie autobiographique, mais
plutôt essai, même si somptueux travail de poésie en prose. Les chapitres se
suivent sans se ressembler, par exemple l’un d’eux est théâtral, mythologique,
biblique même. En bref, tout l’univers de GIONO paraît compresser dans ce
bouquin.
« Les
vraies richesses » fut écrit à l’époque du Contadour, ce hameau où GIONO
et quelques-uns de ses amis se sont réunis deux fois l’an entre 1935 et 1939,
jouant aux bons vivants et profitant de la vie, isolés et maîtres du monde, le
refaisant. Ce livre est contemplatif, olfactif, sensible, amoureux de la
nature, des animaux, des rivières, du soleil, des arbres et du ciel. Mais pas
seulement. Il est aussi un formidable pamphlet contre le progrès à tout prix,
l’individualisme, le capitalisme, la destruction de la nature, les humains des
villes : « Je suis le compagnon
en perpétuelle révolte contre ta captivité, qui que tu sois, et si tu n’es pas
révolté en toi-même, soit que le travail ait tué toutes tes facultés de
révolte, soit que tu aies pris goût à tes vices, je suis révolté pour toi
malgré tout pour t’obliger à l’être ». D’ailleurs le livre commence du
côté de Belleville, où GIONO peut coucher ses sentiments sur la vie épouvantable
dans les villes où les humains ont désappris les gestes simples du quotidien et
la connaissance de leur environnement.
La
brève pièce de théâtre met en scène un mendiant et sa fille. Lui fut roi, ne va
pas tarder à devenir dieu, sa fille en est persuadée, d’autant que c’est elle
qui, à travers sa jeunesse, l’éduque. GIONO s’autorise un luxe : proposer
le dernier chapitre inédit de l’un de ses romans les plus connus « Que ma
joie demeure » qui rappelle son point de vue exposé dans un certain
« Les vraies richesses ».
Puis
vient le GIONO par lui-même, les journées du côté de la Provence, loin des conglomérats,
l’odeur de pain remplaçant celle de la pollution et des usines, ce pain que
l’on partage comme on partage un bien précieux ou un secret. Ce pain qui
représente les paysans, les vrais, ceux qui refusent la société industrielle,
le développement sans limites des fermes agricoles. Cette société loin des
vicissitudes des capitales et grands pôles décisionnaires : « De cette terre d’Île-de-France qui était
aussi humaine que n’importe quelle autre, tu as fait sortir les palais
barbares, dicteurs de lois, rois des arts, silos à phosphore où dort, inutile,
la cristallisation des intelligences mortes. De cette terre capable de porter
un grand poids d’arbres, tu as fait sortir des forces artificielles qui
imposaient la distraction du monde naturel. Tu trompais la jeunesse des enfants
avec de fausses mystiques, tu faisais travailler les hommes pour de fausses
richesses, sous l’admirable tendresse de ton ciel gris où survit le regard des
poètes massacrés ».
GIONO
dénonce, foudroie en même temps qu’il enchante, philosophe. Il se place en
visionnaire par sa révolte contre le gaspillage des matières premières, la
nourriture. Les pages sur la vie des blés devenus marchandise sont
époustouflantes. Aujourd’hui, on dirait que ce texte est écolo. À l’époque il
est sans aucun doute juste lucide et prévenant, un poil utopiste. On peut avoir
le sentiment que le monde dépeint en 1935 est révolu, pourtant la lecture de
ses « richesses », celles de la terre et de l’intérieur de l’âme
humaine, sonne comme actuelle, voire moderne. C’est ce GIONO là qui enchante,
qui fascine par son maniement de la langue, de la poésie, par sa description de
la nature, celle qui n’a pas besoin de l’Homme pour s’épanouir. Sa lecture est
parfois ardue mais toujours divine, elle peut perdre le lectorat mais lui
permet en fin de compte de toujours retomber sur ses pattes pour mieux l’approcher
et la sanctifier. Deux récits viendront par la suite augmenter celui-ci,
« le poids du ciel » paru en 1938, et « Triomphe de la
vie » en 1942, formant un triptyque. Il est fort probable que nous y
revenions à brève échéance.
(Warren Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire