Recherche

mercredi 25 décembre 2019

Làszló KRASZNAHORKAI « Le dernier loup »


Attention exercice de style à l’horizon ! 72 pages, une seule phrase ! Je m’étais déjà frotté à cette expérience avec « Ce que j’appelle oubli » de Laurent MAUVIGNIER, une phrase en 60 pages. Ici le scénario est cependant tout autre. Le narrateur, philosophe oublié, mal dans sa peau, arpente un quartier de Berlin où il s’ennuie au milieu de la crasse, de la grisaille et des junkies. Son point de chute sera un bistrot du quartier, dans lequel il va monologuer son aventure au barman.

Le narrateur a reçu une lettre d’invitation expédiée de Madrid, pour la région d’Estrémadure en Espagne. Tous frais payés. Une ou deux semaines, dates à sa convenance. Pour y faire du tourisme et surtout pour rédiger un article sur son ressenti (et accessoirement donner un coup de pouce médiatique à la région). Il croit tout d’abord à une mauvaise blague, lui le penseur éreinté dont le cerveau ne parvient plus à correctement fonctionner. De plus « IL N’Y A RIEN LÀ-BAS, c’est un immense territoire désertique, aride, austère et plat, encadré de quelques petites montagnes, surtout près de la frontière, des montagnes pelées, une sécheresse épouvantable, un sol craquelé, le vide total et la misère noire, franchement, qu’est-ce que tu vas aller faire en Estrémadure ? ».

Bref, il accepte bon gré mal gré. Avion, interprète et chauffeur sur place. L’inspiration se déclenche avec cette phrase « c’est au sud du fleuve Duero qu’en 1983 a péri le dernier loup », assassiné. Ce sera la trame de fond de son article à venir. Mais très vite, notre narrateur apprend que le dernier loup de la région a été exécuté en 1985. Lui, qui a désappris à penser, y perd le fil, d’autant que des loups furent encore aperçus en maigre meute après cette date.

Le récit entre présent (dans le bar) et passé (en Espagne) s’entremêle dans une juxtaposition déroutante. Les repères se troublent dans une ambiance kafkaïenne. Construction littéraire de véritables poupées gigognes. Mais ce n’est pas tout : plus le récit s’allonge, plus des loups ont été vus après les dates originellement présentées comme les dernières indiquant leur présence.

Dans une sorte d’enquête, le narrateur va rencontrer, soit de visu soit par téléphone ou tout autre moyen de communication, les protagonistes, du dernier assassin de loup au dernier témoin, qui ne sont par ailleurs jamais vraiment les derniers. Sans compter que le barman à qui toute l’histoire est confié s’interroge : le narrateur a-t-il vraiment vécu cette expérience ?

Làszló KRASZNAHORKAI a travaillé à plusieurs reprises avec le cinéaste Bela TARR (tous deux sont hongrois) ce qui n’est guère étonnant. Mais là où Bela TARR joue dans la longueur et le plan fixe, Làszló KRASZNAHORKAI préfère la brièveté d’une action qui ici, comme le réalisateur, stagne et même régresse. Le lectorat est perdu, jusqu’à cette dernière ligne qui prouve que l’auteur a diablement mené sa barque. Écrite en 2009, cette novella déconcertante vient enfin d’être publiée en français (impeccable traduction de Jöelle DUFEUILLY) chez Cambourakis en 2019. Elle est originale voire singulière et peut provoquer des migraines si tant est que l’on essaie de se repérer dans les dialogues ou les dates des évènements canidés. On en reste comme deux ronds de flanc.


(Warren Bismuth)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire