Sous-titré « Entre plaines et
montagnes, six randonnées à vélo », ce court récit de voyage entre
Haute-Loire et Haute-Savoie en passant par l’Ardèche a été réédité en 2014,
amputé de sa moitié originellement parue en 2000. Six escapades ? Plutôt
cinq, puisque la première d’entre elles est en fait un portrait tendre du
grand-père de l’auteure, celui qui lui a donné le goût des voyages, ces petites
virées locales afin de mieux connaître son environnement immédiat. « C’est à lui, ce ciseleur de plates-bandes et
de potager féerique, ce promeneur d’absolu, que je dois ce goût pour les petits
chemins d’herbe entre les groseilliers, les portes au fond des jardins, les
murs qui séparent campagne et potagers et donnent le désir de ce qu’on ne peut
pas voir, c’est à lui que je dois l’instant où l’on peut rester sans bouger
pour la cérémonie du tri des salades, assise à ses pieds près de la pompe dans
la poignante douceur du cri des martinets et aussi, ce goût pour le mouvement
et l’excitation du départ ».
Le départ, certes pas pour les pôles, pas
pour la grande aventure cosmique des terres inconnues, mais celui permettant de
relier par petits trajets des lieux abordables, non loin. C’est meilleur
marché, plus accessible (et écologiquement plus viable), et l’on apprend
beaucoup sans se déplacer sur des milliers de kilomètres.
Durant ses balades à vélo, Agnès DARGENT
côtoie la nature, parfois hostile, toujours splendide, mais aussi les
autochtones, ceux qui peuplent cette France d’en bas, celle dont on ne voit pas
grand-chose, celle qui a en quelque sorte disparu, la population des campagnes
de jadis, toujours figées dans leur passé. Les cafés d’antan, ses piliers de
comptoir taiseux ou au contraire loquaces, souvent touchants, ces serveuses
draguées mais à qui on ne la fait pas. Plus loin, un cerf. Majestueux, mais en
danger.
Un petit livre de quelques dizaines de
pages, tout simple, écrit avec les yeux et le cœur. La langue est ronde,
raffinée et suave, rencontrant le monde rural, déserté, traçant une galerie de
portraits du cru, avec douceur. La croyance est encore très présente sans ces
zones reculées, les catholiques se rassurant avec les croix aux croisements des
chemins, les protestants bien ancrés dans leur foi profonde. Sans oublier les
commerces de proximité, ceux qui font survivre ce pays désolé, sortes de moteur
ou de colonne vertébrale.
« Nous
partons vers le Mézenc, l’âme comme émondée par le silence, il nous semble ne
plus tenir au temps, il ne reste que l’imprévisible dialogue avec la forte
déclivité, le rythme de notre déplacement, le risque de le perdre tout à fait
ou de basculer dans l’aisance et de nous mettre à danser jusqu’en haut. Dans le
poudroiement du jour nous longeons des prairies spongieuses, l’indolence des
animaux couchés, les ombres des bouquets de frênes, la lumière dessous,
doucement blutée ». Puis direction le col de Joux-Plane en
Haute-Savoie, là où les mollets et les cuisses souffrent, où le brouillard
tient compagnie, et duquel l’on désire ardemment atteindre le sommet afin d’y
trouver une récompense.
Ce texte fait du bien, il se lit lentement,
en prenant bien le temps d’enregistrer les descriptions égrenées avec patience,
où chaque mot trouve sa place sans qu’une tête ne dépasse. Un moment de vraie
poésie. Cerise sur le gâteau : la présentation. Très soignée, couverture
orange, sous-couverture noire avec titre en relief, papier épais, encre
bleutée, chapitres aérés (avec en fond des morceaux de carte géographique de
1692), les pages sont un ravissement, leur contact, leur odeur, cette envie de
feuilleter, d’effeuiller même, jusqu’à atteindre le nu dans un instant quasi
charnel.
(Warren
Bismuth)
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