Ils sont six personnages dans cette pièce de théâtre israélienne divisée en trois parties. Un scénario tout simple : devant la maison d’un couple, un homme noir se tient debout, sans bouger, sans émettre le moindre son. Un couple de voisins remarque l’homme, immobile, muet. Chacun à leur tour, les protagonistes tentent de dialoguer avec lui en empruntant plusieurs langues : aucune réaction, l’homme reste inerte.
Gilad EVRON a l’art d’interroger sur une question sociale en seulement quelques dialogues. En effet, les personnages vont délibérer sur l’inconnu « étranger », tirer des plans sur la comète, vouloir, en l’absence d’informations (l’homme noir restant mutique), réécrire son passé. D’où vient-il ? Pourquoi est-il là ? Attend-il quelqu’un ? Quelque chose ? Est-il malade ? Et puis cette crainte : serait-il dangereux ? Plus par sa couleur que par ses réactions cet homme peut représenter l’ennemi dont il faudra se méfier. Par idées préconçues.
Ici, c’est bien la question migratoire qui est au cœur du récit, mais pas seulement. La corruption « bon marché », les combines au travail sont monnaie courante, on ne sait plus vraiment quelle limite, quelle liberté de pouvoir il nous est possible de nous octroyer.
Les questions fusent, apportant des conclusions à l’emporte-pièce : « La pensée se bloque et, tout d’un coup, on se retrouve cerné par une sorte de, comment dire ? de réalisme vulgaire, misérable, qui tourne en boucle… C’est de mauvais goût, franchement de mauvais goût. Pire. C’est le monde extérieur qui envahit ton espace privé, au point que tu ne peux plus distinguer l’un de l’autre… et ça… tu me suis ?... c’est la mort ».
Théâtre contemporain qui ne cesse d’interroger. Sur la peur de la différence, les clichés sociétaux, les préjugés qui ont la peau dure, les réflexions d’un racisme banalisé. Et puis bien sûr la méconnaissance de l’autre, qui a peut-être souffert, qui a peut-être été volé, abusé, persécuté, d’où traumatisme psychologique en résultant possiblement. L’ombre de l’égoïsme « terriblement humain » vient jouer les trouble-fête. Que peut-on perdre (et non pas gagner) en acceptant l’autre ? En l’admettant ? Et la peur que notre quotidien s’arrête, qu’il soit bousculé. Alors la solution la plus sage (et la plus cruelle) semble être le coup de fil à la police.
Pièce publiée pour la première fois en 2018, deux ans après la mort de l’auteur, elle est ici traduite pour la première fois de l’hébreu en langue française par Jacqueline CARNAUD et Zohar WEXLER, la préface étant signée Peter BROOK pour cette nouvelle excellente publication des éditions l’espace d’un Instant, qui vient tout juste de sortir.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire