Au crépuscule de sa vie, Jim HARRISON est
physiquement diminué, il ne peut guère entreprendre de grandes chevauchées
comme avant, la maladie l’a fatigué, les excès aussi, le tumulte sans doute.
L’homme âgé alors d’environ 75 ans renoue avec sa première passion, son premier
mode d’expression : la poésie, qu’il n’a pourtant jamais quittée de toute
sa carrière d’écrivain, mais qui est malheureusement bien moins connue que ses
romans, novellas ou récits de vie.
Dans ce recueil particulièrement émouvant,
Big Jim puise dans ses souvenirs des images de la nature ou des poètes. Mais
lucide sur sa sortie prochaine, il observe méticuleusement ce qu’il voit du
fond des repaires de ses convalescences : les oiseaux, les arbres, les
rivières. Il fait part de ses souffrances physiques, morales, sa conviction
d’être au bout de la route, prêt à quitter le monde. « Je suis assis au bord de ce trou noir, puits
/ descendant jusqu’au centre de la terre. / Avec un gros télescope pointé tout
en bas / Je vois un point rouge embrasé et j’entends la bête hurler ».
HARRISON écrit ses passions avec son
inimitable plume mais ici rien sur les femmes, comme s’il avait tourné la page
et se concentrait désormais sur le non-humain. Il se fait intimiste, comme
résigné, se souvenant du passé. Il semble implorer les dieux, très présents
dans ce recueil, lui le calviniste rêve d’une résurrection, d’une partie bonus.
Certes il a désormais du mal à se déplacer, ce grand marcheur infatigable qui
revendiquait jadis plusieurs heures de promenade quotidienne. Certes Jim est
désenchanté, il goûte moins à la vie, l’apprécie par petites touches, mais de
là à disparaître…
Dans ce recueil de poésie en vers libres,
Jim se confie, joue l’introspection, susurre son découragement, mais vibre
malgré l’affliction, s’émerveille devant un oiseau, un arbre, une branche, se
raccrochant lui-même à celle-ci. C’est un vieux bonhomme heurté qui s’exprime,
mais avec une écriture délicate, fine, épurée, et pourtant ces images qui
cognent, d’une précision extrême, d’une fluidité aquatique. De quelques lignes
à plusieurs pages, ces poèmes tout en vibrations vont droit au cœur. « Les premiers hérons, grues, faucons, loin
derrière / Pour ne pas effrayer les petits, / Aujourd’hui encore ils se
rappellent cet habitat divin. / Nous réunirons-nous près de la rivière, cette
belle rivière ? / Nous chanterons avec les fauvettes penchées sur ses cils ».
« La position du mort flottant » est le dernier livre écrit par HARRISON, il en est un témoignage encore plus poignant, un testament littéraire, HARRISON s’y montre paradoxalement libre et vissé à un lit, une chaise ou une bûche. Ce recueil est le parcours d’une vie bien remplie, bouleversant jusqu’à la dernière ligne, avant que Brice MATTHIEUSSENT, traducteur de HARRISON depuis 1984 et son spécialiste, ne vienne parachever l’œuvre par une postface d’une grande intensité. Exactement cinq ans presque jour pour jour après la disparition de Jim, ce livre des éditions Héros-Limite de Genève vient rappeler qu’il fut un écrivain majeur de son temps, sans tabous, avec un cœur énorme et de l’émotion à partager. Il fut aussi un poète magistral que ce recueil tout juste paru vient rappeler. Le vide est immense depuis 2016, mais heureusement l’œuvre conséquente de HARRISON vient le combler et nous n’en avons pas encore tout à fait fini avec son œuvre foisonnante.
(Warren
Bismuth)
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