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dimanche 11 avril 2021

Isabelle FLATEN « Se taire ou pas »

 


« Se taire ou pas » n’est pas un roman ni un essai, plutôt un recueil, une succession de réflexions explorant le vaste sujet du langage, du dialogue, de l’échange verbal. Du simple aphorisme (« Aussitôt qu’il a terminé sa phrase il s’essuie la bouche pour ne pas laisser de traces ») à la scène de quelques pages, Isabelle FLATEN déroule son écheveau.

Ce petit objet (car sorti en poche) hybride est un enchaînement de situations pouvant appartenir à notre quotidien. Isabelle FLATEN a choisi de montrer des humains « normaux », ni plus bêtes ni plus intelligents que la moyenne, ceux que l’on croise tous les jours (si tant est qu’on n’a pas opté pour le repli de l’ermite), et qui se méfient des mots. « Une parole ne vaut qu’à l’instant où elle a été prononcée ». Une phrase de trop et tout bascule, alors place au silence, à la passivité de fonction parlée.

Des couples entrent en scène, dialogue difficile voire impossible. Ne pas blesser, ne pas s’emporter, tout garder au fond de soi-même, éviter les vagues trop écumeuses. Circonstances embarrassantes, quelle réaction adopter, vers quelle solution s’orienter ? Aux couples distants succède la complicité fragile, la communication intra-muros est celle de l’intime, celle qui se partage à deux ou guère plus, celle qui laisse des traces. Ne pas tout gâcher.

Difficile dans ces conditions d’être soi-même, de ne pas jouer un rôle. Parfois les mots partent comme une fusée incontrôlée et c’est le drame. Parfois ils restent suspendus aux cordes vocales et le résultat n’est guère plus brillant. Le choix est cornélien, la sortie de route toujours possible. Alors il arrive que l’on se quitte sur un simple SMS (joies de la technologie) puisque les mots n’ont pas pu jaillir d’un face à face. Et l’oiseau quitte sa cage.

Des instantanés présentés comme des chutes de court-métrage. Les spectateurs prennent les scènes en cours, comme s’ils venaient subrepticement de pousser la porte et de pénétrer dans l’intimité d’une maison dont l’atmosphère est plus tendue que ce que les protagonistes veulent bien en montrer en présence de tiers.

Ici généralement on préfère se taire. D’ailleurs aucun dialogue n’est imprimé, certains sont tout au plus suggérés. Et la logique est implacable : les mots peuvent être une arme, y compris contre soi-même, ils peuvent à jamais déconstruire l’amour.

Isabelle FLATEN sort de sa besace à multiples fonds à la fois des mots ou expressions surannés (notez que le verbe « suranner » l’est lui-même quelque peu, suranné, tout comme « besace », et que j’apprécie particulièrement les mots surannés) assaisonnés avec son humour par petites touches mais bien réel et communicatif. Sa force est de nous faire participer, on se reconnaît dans certains traits, certaines situations, la lecture en devient active. L’humour noir sait lui aussi s’installer par surprise : « L’enfant la regarde à nouveau, puis il soupire que tout cela est de sa faute, si elle ne l’avait pas fait naître, il ne serait pas obligé de mourir ».

La domination masculine est secouée à juste titre, par de courtes mises au point féministes. Croquis de l’intimité d’un couple : « Et il fait son grand seigneur, il commande une autre bouteille en précisant qu’elle est toute pardonnée. Sauf qu’elle n’a rien à se faire pardonner, rien du tout ». Isabelle FLATN s’exprime librement, en écriture quasi orale, mais pas seulement, puisque quelques images sont de la poésie pure. Ce recueil de 2015 sera suivi d’un exercice similaire en 2018, « Ainsi sont-ils », où l’autrice reprend la même recette qui par ailleurs fonctionne à nouveau sans aucune lassitude. Le présent « Se taire ou pas », ce titre ô combien juste, est ressorti en 2020 en version poche, tout comme la première édition et « Ainsi soit-il » chez les éditions Le Réalgar, et il est recommandable sans aucune restriction, d’autant que son prix est modique.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

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