Le titre interpelle, questionne. Seulement une centaine de pages, mais renfermant trois pièces contemporaines croates. Non, plutôt quatre, car une courte préface « Préliminaires à la disjonction » fait partie du tout, car pièce elle-même.
Si l’amour est bien le personnage qui voudrait percer de cette trilogie, ce n’est pas celui qui chante la sérénade au bas du balcon par une chaude soirée d’été. Ivana SAJKO le met en scène en temps de guerre. Des corps qui ont du mal à s’étreindre face à la violence extérieure. Ces courtes pièces pourraient prendre forme partout où la paix n’existe plus, où l’amour n’a plus sa place, même si l’on fait semblant.
La guerre peut prendre plusieurs aspects, le terrorisme par exemple. Et l’autrice de fouiller dans l’histoire du monde, en sortir un fait, une autre guerre, d’autres violences. Des scènes décrites, nous ne savons plus si elles émanent du passé ou de l’imagination d’Ivana SAJKO, tellement les deux semblant indissociables.
Ivana SAJKO possède une arme magique : sa plume. Ecriture divine d’une force poétique magistrale. D’ailleurs, cette trilogie oscille toujours entre théâtre et poésie : « La police a sonné à la porte pendant des jours / Personne n’ouvrait / Les enfants n’étaient pas à la maison / Ils n’étaient pas non plus à l’école / Les enfants ne voulaient pas grandir / Ils voulaient rester comme des dents de lait / Pour pouvoir se cacher quand on les cherche / Se recroqueviller dans le creux d’une main / Se fourrer dans les poches d’un jean / Ou dans une poubelle / Ou dans une bouteille de bière / Ou dans un petit tuyau d’essence / Là-bas personne ne les trouverait ».
La violence de la société déclenche les émeutes populaires, partout on se bat. Dans les cités, les rues, ce qui est une partie du thème de « Rose is a rose is a rose », un titre qui se mord la queue, qui « infinise » la violence, la rend obsédante, omnisciente, plus que l’amour qui peine à trouver sa place. Même dans un jardin où trône un vieux pommier (sujet de « Scènes de la pomme ») la violence s’invite. Prendre du recul dans un potager ? Impossible, l’ennemi s’y glisse aussi.
La violence réside aussi dans le « simple » capitalisme et notamment lors de ses krachs boursiers. Alors l’autrice y invite Bonnie et Clyde. Pour piller tout ce beau monde. Et bien sûr ça finit mal. Et là encore cette époustouflante et venteuse alchimie du théâtre et de la poésie qui vous colle aux murs : « On est l’avenir de ce pays / le trou dans le budget et la circonstance aggravante / dans la longue chaîne des investissements ratés / On est des gloutons, des morveux, des pleurnicheurs / des pickpockets, des galopins, des délinquants / des voleurs de voiture / et des assassins potentiels / On n’a aucune chance / mais on s’obstine à grandir ».
Les trois pièces furent écrites respectivement en 2007, 2009 et 2011. La traduction française est assurée par Miloš LAZIN, Anne MADELAIN, Vanda MIKŠIĆ et Sara PERRIN pour lesquels la tâche a dû être ardue devant cette écriture si majestueuse.
Écriture envoûtante, hors sol, comme si l’autrice tentait, par ce biais, d’elle-même échapper aux massacres, aux guerres, à la violence. Et peut-être y parvient-elle. Prodigieux don de l’écrit qui transporte jusqu’à plus soif. Cette trilogie irrévérencieuse vient de sortir aux éditions L’Espace d’un Instant. Si vous aimez le théâtre, la poésie et l’Histoire, elle est forcément pour vous, elle est redoutable.
https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation
(Warren Bismuth)
Très belle chronique pour un titre qui me plait...
RépondreSupprimerL'espace d'un Instant est un éditeur incroyable par sa démarche et les découvertes qu'il propose, souvent de pays dont on n'a quasiment rien lu en littérature.
Supprimer