Ce livre de 2003 est un petit bijou à bien
des égards. Déjà, il ne se lit pas comme un autre puisque « En août 2000, chaque jour, je me suis
interrogé sur un événement personnel alors récent, une rencontre improbable,
aventureuse et vivifiante » annonce l’auteur en préambule, avant
d’ajouter « En août 2001, chaque
jour, je me suis interrogé sur ce que me faisait le monde, ma petite planète à
milliards d’humains. Sur ce qu’il leur faisait ». Le rendu est troublant.
Et remarquable.
Août : huitième mois de l’année,
appartient à la saison appelée été et possède 31 jours. Tous les jours d’août
2000 et 2001 (comme par ailleurs chaque été depuis alors 15 ans), Philippe
LONGCHAMP rédige six lignes de poèmes en vers libres, y note le lieu
géographique d’écriture. Page de gauche, en italique, ceux de 2000, intimistes,
introspectifs. Page de droite, italique supprimée, poèmes de 2001 sur l’état du
monde, par de courtes analyses de faits divers ou moments forts survenus dans un ailleurs. Sur cette page, une ligne est sautée, un septième vers est ajouté,
une sorte d’aphorisme des deux pages en face à face.
Les dates et lieux : en août 2000
LONGCHAMP voyage en France puis se pose quelques jours à Paris, rejoint la
Grèce avant un retour à Paris en fin de mois. Août 2001 :
Paris-Savoie-Paris, puis le Chambon-sur-Lignon pour les festivités des
« Lectures sous l’arbre » organisées par Cheyne éditeur (chez qui est
sorti le présent livre). Dernière semaine dans le Gard et l’Hérault.
Page de gauche et page de droite interagissent
comme un miroir à deux faces : la petite histoire personnelle de 2000
s’entremêle avec la grande histoire du Monde en 2001, où il est question de faits
souvent politiques se jouant en Argentine, Ethiopie, Chine, Sénégal, Irlande du
Nord et tant d’autres, mais aussi plus prosaïquement en France. 31 jours pour
62 poèmes, 31 fragments d’une vie, 31 fragments planétaires.
« Serrer
freins ! Désirs emballés dérapent.
Jamais
voulu être un des gens pressés,
Lestés
de rien quand le temps vire au noir.
J’ai
déjà perdu ma dernière guerre.
Pourtant,
qui ça m’a vite pris aux dés ?
Et
plus le temps de prévoir des étapes ».
Chaque mot est pesé, chaque pensée, chaque
évocation. Nous entrons là dans un livre double, mystérieux et pourtant empli
de jalons, ceux plantés à droite bien sûr, dont nous connaissons certains
aspects. C’est fascinant de passer d’une page à l’autre, voir s’égrener le
temps par le biais des dates en une sorte d’éphéméride aoûtien prodigieux. Et
toujours cette dernière phrase, en bas à droite, isolée des autres, mais qui
vient cimenter le tout.
« Etayer
les galeries des mines ouvertes
par
les colons d’Europe, en Afrique du Sud,
exigeaient
du bois. Et le transport ferroviaire
du
minerai, des traverses. On planta donc
des
arbres « étrangers » - acacias, black wattle –
assoiffés
d’une eau rare et qui manque aux humains ».
Ainsi la page de droite répond par
l’histoire internationale aux petits tracas du quotidien fixés sur la page de
gauche. Et les lieux géographiques d’écriture, ce sud de la France en plein
mois d’août, véritable collision avec les faits de cette page de droite,
sanglants ou violents (pas toujours) et comme disproportionnés. Le livre peut être
ouvert à n’importe quelle page afin d’y être lu.
Titre éblouissant que « Et dessous le
sang bouscule » tant il peut être sujet à interprétations. Et ce bonheur
de lecture parachevé par la qualité de l’objet, du papier épais, agréable au
toucher, de la couverture (verte. Car oui il s’agit de la collection Verte de
Cheyne), montrant une solidité à toute épreuve, tout comme le texte que le
livre renferme. Moment de grâce comme Cheyne sait si bien nous en proposer.
Paru en 2003, certes, mais procurez-le, offrez-le, c’est tout le mal qu’il
mérite.
« La suite, on l’ignora, mais on peut s’en douter ».
https://www.cheyne-editeur.com/
(Warren
Bismuth)
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