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dimanche 26 septembre 2021

Arthur KOESTLER « La lie de la terre »

 


Plongeons au cœur du thème de l’autobiographie et son titre « Et moi et moi et moi ! » pour notre challenge mensuel « Les classiques c’est fantastique », dirigé par les blogs « Au milieu des livres » et « Mes pages versicolores » (encore merci à vous !). Aujourd’hui présentation d’un livre d’Arthur KOESTLER rédigé en 1941, « La lie de la terre ».

Après son emprisonnement en Espagne durant la guerre civile (où il fut condamné à mort par FRANCO puis échangé contre un autre prisonnier), Arthur KOESTLER est déporté au camp du Vernet dans l’Ariège au tout début de la deuxième guerre mondiale, précisément entre octobre 1939 et janvier 1940. KOESTLER, bien que citoyen d’un pays alors neutre, la Hongrie, fait partie de ces « suspects » aux yeux du gouvernement français. Détenu donc, après être passé brièvement par le camp provisoire de Roland-Garros, du côté de Paris. Au Vernet, KOESTLER est tout d’abord exempté de travail forcé, grâce à son « prestige » d’homme de lettres. Ce privilège ne va cependant pas duré.

Dans ce livre témoignage, autobiographique en même temps qu’historique, KOESTLER résume son parcours après la guerre d’Espagne, jusqu’au moment où il rédige ce texte durant cinq semaines en 1941. La date est importante, en effet « La lie de la terre » est le tout premier témoignage écrit sur les camps de concentration français, ce qui en fait, entre mille autres choses, son attrait, son intérêt et son poids. « La détention, les corvées, les conditions matérielles indicibles et l’interminable série d’humiliations nous minaient lentement l’esprit. Le pire, peut-être, était le manque absolu de solitude. Vivre pendant des mois entiers dans un espace de soixante-quinze centimètres, dans un bourdonnement de ruche, sans une heure d’isolement, sans pouvoir sortir ne serait-ce que pour respirer, affectait même les nerfs des plus robustes ».

KOESTLER a quitté le Parti Communiste en 1938, dégoûté et sans illusions. Il y était adhérent depuis 1931. Homme de conviction, il continue cependant à donner son point de vue sur le monde et la politique. C’est ainsi qu’il est fait prisonnier en 1939 alors qu’il réside en France. Et c’est l’autre facette majeure du témoignage de KOESTLER : l’état d’esprit en France au déclenchement de la guerre, un état d’esprit tout cocardier, empli tout d’abord de désinvolture, puisque que le soldat allemand n’est pas encore visible sous nos fenêtres. Et le bon citoyen français est plutôt poli sur les velléités belliqueuses d’HITLER.

KOESTLER est lucide : « Faire une guerre pour en finir avec la guerre est une absurdité. Comme si une personne condamnée à s’asseoir sur un baril de poudre se décidait à le faire sauter, dégoûtée de ne pouvoir fumer sa pipe ». Il développe des points de vue pacifistes mais en prenant en compte la situation présente devant l’occupant nazi. Du camp du Vernet, il raconte le quotidien, horriblement semblable à tout ce qui peut se lire de cette période dans la littérature concentrationnaire à propos des camps en Allemagne. KOESTLER, comme beaucoup de sympathisants communistes, et malgré sa démission, a très mal perçu le pacte germano-soviétique de 1939.

L’auteur dénonce son camp, la gauche, celle aux dents longues : « Un des défauts de la gauche française, est qu’elle représente dans la vie de ses membres une sorte de péché de jeunesse, comme de faire des dettes ou d’avoir des maîtresses. La carrière typique du politicien français, de Clémenceau à Laval, se lit comme les mots sur une page, de gauche à droite ». « Le Populaire [journal nddlr] avait dénoncé les camps de concentration hitlériens comme une tache sur la civilisation européenne et la première chose que la France avait faite dans cette guerre contre Hitler était de suivre son exemple. Qui était interné dans un camp de concentration ? Les fascistes peut-être ? Non, les miliciens espagnols, les réfugiés italiens et allemands, ceux qui les premiers avaient risqué leur vie contre le fascisme ».

Car oui, rapidement la France est entrée dans la spirale infernale du fascisme tout en s’en défendant. KOESTLER emploie les mots qui frappent, entièrement baignés dans le contexte historique puisque son livre est écrit quasi en direct, il voit naître la collaboration avant même l’armistice, ce point est extrêmement important. Il s’engage deux fois dans la légion (il souhaite rallier Bordeaux afin de rejoindre l’Angleterre), deux fois il déserte. Sa situation (il l’écrit lui-même) devient proprement kafkaïenne au cœur d’une apocalypse (c’est le nom donné à la deuxième partie de son livre).

Pour la première fois il écrit en anglais, cette Angleterre représentant l’espoir de salut et de victoire, qu’il va finir par rejoindre, c’est ici que se termine le récit. Dans un post-scriptum de 1942, il précise qu’il fut aussi interné en Angleterre (durant six semaines), après l’avoir déjà été en Espagne et en France. Ce livre est le parcours cahoteux d’un homme de son temps, engagé, mais aussi l’instantané d’un continent au bord de la rupture, peut-être en train de vivre ses derniers instants. Grand récit pudique mais sans langue de bois, vivant et révolté contre un monde en train de basculer du côté de l’obscurantisme.

(Warren Bismuth)



5 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas cet homme.
    Merci pour la découverte!

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    1. Je te conseille vivement "Le zéro et l'infini".

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    2. Même chose pour moi. Je ne le connaissais pas. Il a vécu une vie marquée sous le signe d'une époque terrible. En ce sens, son témoignage ne peut qu'être intéressant. Merci!

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  2. "Grand récit pudique mais sans langue de bois, vivant et révolté contre un monde en train de basculer du côté de l’obscurantisme." C'est bon, je suis hameçonnée. Je ne connais l'auteur que de nom, je vais aller voir plus loin désormais !

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    1. Pour t'influencer positivement, je rajouterai qu'il fut l'ami d'Albert Camus.

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