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samedi 18 septembre 2021

Philippe RAHMY « Mouvement par la fin – Un portrait de la douleur »

 


Un homme dans un lit d’hôpital va subir une opération chirurgicale. « Le sternum est découpé pour une intervention sur le coeur qui bat un rythme de métal. Un tuyau jaune-guêpe est planté dans la gorge, il crache des antibiotiques à l’intérieur d’un ventricule ». Dans une longue plainte le patient, l’homme blessé, met en mots ses perceptions sensorielles. La souffrance, le concubinage avec la douleur, la maladie, l’eau et le feu cohabitant dans un corps fatigué.

Tel un pénitent, le narrateur analyse la douleur, la voit à la fois comme une fatalité et un être proche, l’accepte comme une compagne, une bien-aimée, de celles qui partagent une vie. Dehors, au-delà des vitres de la fenêtre, la verdure, la vie, la vraie, sans contraintes, tandis que le narrateur apprivoise le mal, le dilue dans ses prières, dans ses exhortations. « Si simple, l’agonie. Réconfort de savoir que je souffrirai jusqu’à la fin. La douleur est un amour qui me rapproche vivant de l’éternité. Vide clarté qui se donnant à moi ravit qui je suis. Combien d’hommes ont subi le mal leur vie durant sans être consumés ? Combien ont cru voir Dieu ? ».

Poésie emplie de religiosité, pour se tourner déjà vers l’au-delà, vers l’après. Recroquevillement du malade, vie intérieure en ébullition, l’imagination bouillonnant malgré l’épuisement et les drogues administrées pour soulager. Recherche des ressources au fond de l’âme, continuer coûte que coûte, la foi contre le désespoir, la douleur dans la lumière, ou plutôt la lumière malgré la douleur, cette compagne, la seule. « Venez-moi en aide, j’ai mal ».

Dans une poésie sensible en prose et en de brefs paragraphes puissants, Philippe RAHMY tente d’exorciser le mal, ce mal qui le ronge depuis toujours, dans un texte en forme de supplique. L’auteur suisse décédé en 2017 était atteint de la maladie des os de verre, aussi il a côtoyé la mort, l’enfermement médical durant son existence, en a fait des partenaires imposés.

Ce texte est un partage, celui de la sensation éprouvée au-delà de la douleur physique ou morale, afin de tenter de lui attribuer un rôle finalement positif malgré l’envahissement, les rechutes. « Je suis celui qu’une naissance inachevée abandonne sans être et sans corps définis dans la réalité des autres. Encore et encore. Qui s’enivre sans boire, guérit sans remède, s’offre sans cause, aime et souffre pour toujours ».

Poésie violente, à fleur de peau, déchirée, épurée, à la fois fragile et d’une force extraordinaire, elle est cet antidote pour ne pas sombrer. Texte aussi bref que brutal, sorti en 2005 dans la collection Grands fonds de chez Cheyne, il est accompagné d’une postface de Jacques DUPIN qui colle au plus près à ce récit à la fois désespéré, résigné et combatif. Sous-titré « Un portrait de la douleur » comme pour plonger le lectorat avant même la première page dans une ambiance de maladie, planter un décor d’hôpital et de traitements médicamenteux, ce « Mouvement par la fin » nous retourne et nous secoue.

https://www.cheyne-editeur.com/

(Warren Bismuth)

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