Deuxième mi-temps sur le thème « Sacrées femmes, illustres autrices ! » du challenge mensuel « Les classiques c’est fantastique » des blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores avec encore du théâtre poids lourd pour Des Livres Rances.
Le présent volume contient l’intégralité des pièces de théâtre de Nathalie SARRAUTE, de 1967 à 1980. L’une des figures majeures du nouveau roman en a écrites six, toute d’une petite trentaine de pages, en un seul acte.
Ce qui saute aux yeux, c’est la structure même : hormis pour une pièce, aucune ne donne de nom à ses personnages, qui restent anonymes. De plus, le lectorat a l’impression d’entrer dans une pièce en plein milieu d’une conversation, jouant le rôle d’un spectateur-voyeur (ce dont se délecta le nouveau roman). Le point d’achoppement a eu lieu avant la scène première, et parfois nous ne savons pas du tout de quoi ou de qui les personnages dialoguent.
Une phrase lancée au hasard, (mais avant, en off) on imagine que le ton est monté entre deux, trois ou quatre personnes, rarement plus. Nous surgissons au beau milieu de la dispute, ne sachant prendre position (ce qui est la force de ses textes). « Tout à l’heure, quand nous discutions… enfin, on ne peut pas appeler ça discuter, nous étions du même avis… enfin vous et moi… mais elle… elle était là quand nous parlions, elle écoutait… ».
Les points de suspension n’en finissent plus, jusqu’à la chute, qui d’ailleurs n’en est pas une. Comme nous avons pénétré au cœur de la conversation, nous la quittons avant qu’elle ne soit close, c’est-à-dire que nous avons assisté à une bribe de discussion plus ou moins tendue et passionnée, et que nous nous séparons des protagonistes sans en savoir bien plus.
L’erreur fut peut-être de lire les six pièces à la suite. Au final, on y voit un exercice de style, une manière de présenter six pièces d’un même squelette, où les personnages (anonymes donc) pourraient être les mêmes d’une pièce à l’autre, et continuer leur échange entamé lors de la pièce précédente. Un seul mot peut être un simple prétexte pour que la discussion s’enflamme, comme si le débat devait avoir lieu coûte que coûte.
Nous pouvons parfois nous croire plongés dans du BECKETT (par les situations absurdes ou les insignifiances des personnages), plus rarement dans du KAFKA : « On a su qu’il m’est arrivé de rompre pour de bon avec des gens très proches… pour des raisons que personne n’a pu comprendre… J’avais été condamné… sur leur demande… par contumace… Je n’en savais rien… J’ai appris que j’avais un casier judiciaire où j’étais désigné comme « Celui qui rompt pour un oui ou pour un non ». Ça m’a donné à réfléchir… ».
Le théâtre de SARRAUTE se caractérise par le poids, la signification et la puissance des mots, des tonalités. Chaque débatteur recherche un appui, bien ancré dans sa mauvaise foi. L’échange n’est que de surface, chaque protagoniste semblant bien camper sur ses positions. Trouver le bon mot, la bonne expression pouvant éviter les sous-entendus, nombreux dans ces textes, tout comme peuvent l’être les conclusions hâtives, les silences étant interprétés et catalogués.
Les disputes donc : elles n’interviennent jamais totalement en direct, la raison a été évoquée avant l’entrée en scène. Sur celle-ci, si disputes il y a, elles ne sont qu’un reste de ce qui s’est déjà joué hors champ. Les phrases restent souvent en suspens, tranchent pourtant.
Il se peut que nous spectateurs, entrions au cœur d’une action mouvementée dont nous ne possédons pas les codes : « Dénigrement ? Dé-ni-gre-ment. Oui, c’est ça : dénigrement. C’était du dénigrement, ce que nous faisions là. Vous auriez pu dire : médisance. Ou cancans. Mais vous avez choisi dénigrement. Je comprends… À vrai dire, je m’y attendais. Toi aussi, tu t’y attendais, n’est-ce pas ? Nous nous y attendions tous les deux. Depuis déjà un moment… ».
Le style de SARRAUTE peut paraître pénible ou sublime, c’est selon. Il en est de même de son univers, très particulier, avec un pied au moins en Absurdistan. Toutes les trames semblent être tissées pareillement, d’où ce sentiment de redite, de relecture. Il n’est peut-être pas nécessaire de se farcir les six pièces, mais au moins une devrait pouvoir vous permettre de trancher sur les questions ci-dessus, en suspens elles aussi, comme tout le théâtre de Nathalie SARRAUTE.
(Warren Bismuth)
De Sarraute, je n'ai lu que Tropismes et j'avais adoré! Je ne sais pas si je me laisserai tenter par ses pièces..
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