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jeudi 21 octobre 2021

Georges BRASSENS « Journal et autres carnets inédits »

 


Il était inenvisageable que Des Livres Rances ne prenne pas part à la célébration du centenaire de la naissance de l’un des plus grands chansonniers et poètes français du XXe siècle. Aussi, ce présent billet servira d’hommage hautement respectueux pour Georges BRASSENS, né le 22 octobre 1921, il y a donc 100 ans aujourd’hui.

Dans ce recueil de 2014 figurent des notes de BRASSENS prises entre 1963 et 1981, année de sa disparition. Plus précisément, il s’agit de deux journaux et trois agendas. Dans ces notes sont relayées diverses réflexions et pensées du grand Georges, mais aussi des idées de textes à peaufiner, certains deviendront d’immenses chansons du poète libertaire. En effet, 41 futurs textes chantés sont ici à l’état d’ébauche, parfois juste quelques mots griffonnés sur le papier. Certains feuillets volants rajoutés aux cahiers sont également insérés ici.

BRASSENS se plaît à noter des aphorismes qui lui passent par la tête. Ils atterrissent dans ses carnets comme des cheveux sur une soupe. « Je vous le dis en vérité, j’emmerde la postérité ». BRASSENS est un homme entier, fait d’un seul bloc, avec ses valeurs anarchistes, antimilitaristes, anticléricales. Individualiste acharné, il fuit la foule et la pensée unique pour mieux se blottir dans les bras d’une femme. Quelques pages sont pour elles, éblouissantes ou coquines, vengeresses ou enflammées, mais toujours respectueuses. BRASSENS n’est pas un méchant, son parcours fut empreint de pauvreté et de galères. Il les évoque à peine dans ces notes.

En amoureux des bons mots, BRASSENS joue avec, les triture, les décortique, pour en extraire le jus, celui qui sortira sous forme d’une révolte ou d’un calembour grivois. BRASSENS dit « merde » à la bureaucratie, à l’autorité, à l’uniforme, aux institutions, aux militaires. La liste serait trop longue à dresser. Mais il ne se contente pas du mot de Cambronne, développant ses convictions poétiquement, jamais dogmatiquement, il est bien trop amoureux de la liberté pour se ranger derrière un drapeau ou un militantisme à oeillères, même s’il soutient toujours ses frères et sœurs anarchistes et/ou opprimés.

Individualisme, maître mot de ces notes : « Non seulement je ne me suis pas engagé, mais encore je n’ai rien d’une… Je ne veux être un militant d’aucune secte. Je ne vote pas et mon devoir civique, je ne le fais pas. Je n’ai pas de solution collective. Et je ne veux pas, pour un lendemain (bonheur) hypothétique, vivre à l’ombre de la guillotine ». BRASSENS préfère décidément marcher seul, en marge.

Si mai 68 ne l’a pas enthousiasmé, s’il ne s’en est pas « rapproché », c’est essentiellement dû à la violence de la rue. Il n’a pas défendu les barricades, il a observé cela de loin. Loin d’un certain fanatisme, celui des velléités meurtrières (« À mort les partisans de la peine de mort ! »). « Non, madame, je ne suis pas réactionnaire, conservateur, le cul entre deux selles. Je serais plutôt révolutionnaire, mais le sang… Déjà, quand un voleur passe avec des menottes, même si c’est normal, je ne le trouve pas. Alors, quand c’est un enchaîné politique… On pend trop, on fusille trop, on emprisonne trop ». Car BRASSENS est aussi contre la peine de mort, à une époque où elle est encore pratiquée en France. Ce monsieur déborde de culot irrévérencieux.

Mais revenons aux ébauches de chansons. Certaines idées, certains vers, sont martelés, répétés, comme pour reconstituer un puzzle dont il manquerait les pièces principales. BRASSENS est un orfèvre de la langue, tout doit être précisément imbriqué, rien ne doit dépasser, traîner. Et puis cette humilité maladive, déterminée, prégnante, au-delà du respectable : « Je ne sais rien, je le sais bien ». Il lui faudra parfois de très nombreuses corrections avant de trouver le vers qui fonctionne pour ses futures chansons.

BRASSENS est par ailleurs blessé par ceux qui lui reprochent de ne pas assez s’engager, de ne pas être assez « anti » dans ses textes, lui qui a pourtant brocardé tout ce qui était une entrave à la liberté, mais avec son propre langage, sans slogans clichés, sans attaques directes, écrivant à mots couverts. Il revient souvent sur ces critiques dans ses cahiers. Malin, le Georges, il enveloppe sa révolte dans un papier cadeau ou derrière un masque de clown. Et fait mouche. Alors il répond à ses détracteurs, sans vraiment répondre. Car toute sa dissidence se trouve DÉJÀ dans ses textes, et depuis longtemps, désobéissant à la désobéissance de façade. BRASSENS est un amoureux du verbe et un adversaire de l’autorité, il faut avoir l’esprit bien étroit pour ne pas s’en rendre compte, explique-t-il en substance.

Dans ses carnets, il n’oublie pas de faire la part belle aux poètes adorés, François VILLON en tête. Aux femmes aussi, bien sûr, avec un profond respect teinté de grivoiseries jamais vulgaires, même si parfois ordurières. Il évoque ses proches disparus, pudiquement, comme pour se souvenir des dates, un pense-bête en somme, sans fanfare ni mouchoirs.

Dans un dernier carnet, BRASSENS consigne des rendez-vous professionnels passés, donne son avis sur le public de certains de ses concerts. Cette dernière partie du livre est plus « professionnelle », plus du tout axée sur le BRASSENS contestataire, poète libre sachant se faire virulent. Elle est là cependant pour mettre en lumière ce cœur qui bat, qui ressent la vie de manière singulière.

BRASSENS homme libre de refuser, encore et toujours : « Tout ça remonte assez loin dans le passé. Je me suis aperçu très tôt, très jeune, que je supportais mal les ordres et qu’il n’était pas dans ma nature d’en donner. Un besoin farouche et plus fort que moi me prenait de me rebeller contre toute espèce de discipline et ceci sans aucune réflexion. Petit à petit, j’en suis venu à rêver que, si j’en avais le courage, je supprimerais carrément quiconque s’aviserait de vouloir me faire plier à sa volonté. Grâce au ciel, je n’eus jamais ce courage. Sinon, j’aurais fait plus de victimes que cinq ou six guerres réunies, vu que l’autoritarisme est une manie des plus répandues. J’étais d’avance perdu pour l’armée où le commandement et l’obéissance sont la règle absolue. Incapable de me soumettre et me refusant à soumettre les autres, il m’était difficile de ne pas rencontrer l’antimilitarisme ».

BRASSENS est tout cela : une force libre, une puissance pacifiste, un esprit anarchiste au service de la poésie et de la chanson. Son ombre continue à planer au-dessus des révoltes du quotidien. Pour longtemps. Car reste ce somptueux héritage, les enregistrements, disques, et ces diables de bouquins lui étant consacrés (pas tous essentiels, certes). Une mine d’or en somme. Le présent livre est délectable et à consommer lentement, accompagné d’une odeur de tabac. BRASSENS n’appartient à personne.

 (Warren Bismuth)

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