Nous voici en face d’un fait divers rocambolesque au possible, survenu en 1953 dans une France loin d’être affranchie des morsures de la deuxième guerre mondiale. Histoire particulièrement embrouillée, et nous allons tenter de résumer en quelques mots cet épisode venteux…
Février 1953 donc. Quelques passeurs font traverser clandestinement la frontière franco-espagnole à deux enfants, plus précisément du côté du rocher des Perdrix au Pays Basque, anecdote beaucoup moins anodine qu’elle n’y paraît, et voilà pourquoi :
Ces enfants sont ceux d’un couple juif, les FINALY, une famille qui a fui à plusieurs reprises le régime nazi, fut en partie déportée puis assassinée en camp de concentration durant la seconde guerre mondiale. Miraculeusement, les deux enfants n’ont pas été déportés, ont même été planqués à partir de 1943 par diverses institutions catholiques respectables au demeurant, à une époque où il ne faisait pas bon être juif dans un pays collaborationniste.
Après plusieurs rebondissements, les deux gamins sont hébergés par une certaine Antoinette BRUN, catholique ardente de la crèche municipale de Grenoble. Fritz FINALY, le père des enfants est, nous le savons, mort. Or, avant le grand départ, il avait pris quelques précautions et souhaitait que ses descendants soient élevés par sa sœur, vivant en Nouvelle Zélande. Mais la troublante Antoinette refuse de les rendre. Motif : elle les a baptisés en secret en 1948, bien que les deux garçons furent circoncis donc déclarés juifs. Ils doivent dorénavant obéir aux commandements catholiques. Cependant, juridiquement, Antoinette doit rendre les enfants à leur famille. C’est alors qu’en février 1953, ils disparaissent, kidnappés…
Dans cette histoire abracadabrante, il n’est pas facile d’y retrouver ses petits, et Marie COSNAY prend un malin plaisir à nous perdre toujours un peu plus, jouant avec maestria sur les flashbacks historiques, nous faisant faire connaissance avec de nombreuses figures des années noires du XXe siècle, se déplace beaucoup durant la deuxième guerre mondiale, nous amène faire un tour du côté de la première, puisque diverses ramifications, explications de cette ténébreuse affaire, sont disséminées dans toutes ces années. Marie COSNAY se permet même le luxe de nous transporter en 1858 en Italie après avoir brillamment exhumé quelques acteurs, héros ou ordures, des années 1930-1940.
En fond de ce récit, la haine des juifs, l’antisémitisme toujours très prégnant près de dix après la shoah et malgré les millions de morts. Marie COSNAY est une fervante militante pour l’accueil des migrants, ce texte s’en fait aussi un écho actuel par ces deux enfants empruntés à l’histoire, promenés de droite et de gauche sans que jamais ne se profile un point d’ancrage. Il y a aussi la surenchère religieuse, avec des catholiques boulimiques et leur volonté de toute puissance par l’écrasement de « l’autre ».
Et cette galerie de « nébuleux », collant trop parfaitement à leur époque troublée : « … Prince de campagne et de patois, un abbé d’autrefois, un qui a choisi l’habit ne pouvant choisir les armes, un abbé à la Stendhal, compromis jusqu’au cou mais il ne sait pas lui-même auprès de qui, il a acquis et la francisque et la Légion d’honneur, a suivi Pétain et a suivi de Gaulle, a protégé des réfugiés puis en a livré, a informé Franco des secrets des rouges et informé la France des secrets de Franco, avait un cheval nommé Stalingrad... ». Et ainsi de suite.
N’oublions pas les Justes de ce récit, celles et ceux qui ont risqué leur vie ou leur liberté pour ces jeunes enfants (je pense à Germaine RIBIÈRE), alors que d’autres ont profité de l’opportunité pour leur faire passer des frontières en échange d’une coquette somme d’argent. Ici, et par ce « simple » fait divers, est dénoncé l’appétit du Vatican ou de certains de ses représentants, mais aussi celui de figures ambivalentes des fameux bons citoyens, ou encore le rôle du gouvernement fasciste de FRANCO dans le sort réservé aux enfants, la haine et l’antisémitisme présents sur tous les tableaux. Évocation brève mais remarquée de l’organisation fasciste française La Cagoule, ainsi que quelques autres, comme le réseau de résistance « Comète » qui donne en partie naissance au titre de ce livre.
Quant au style, il est dynamique et haletant, volontairement libre, n’obéissant à aucune règle, l’autrice sortant de son chapeau les diverses périodes évoquées ci-dessus, les faisant fatalement se rejoindre, se compléter, se questionner les unes aux autres. En résulte un tissage solide et homogène. C’est du haut vol et l’autrice retombe toujours magnifiquement sur ses pattes en un numéro impressionnant d’équilibriste. Le tour de force principal consiste peut-être à nous rendre actifs : tout en nous entretenant de cette sombre affaire, Marie COSNAY garde par devers elle certains mystères, nous poussant à consulter nous-mêmes des archives. En parlant de ces dernières, Marie COSNAY informe à la fin de son brillant ouvrage : « Le 2 mars 2020, le Vatican ouvrait ses archives, scellées, du temps du pontificat de Pie XII. Très vite, il n’en était plus question : la pandémie du Covid-19 remettait à plus tard la lecture des secrets octogénaires ». Il faudra donc attendre encore un peu…
Exercice journalistique autant que d’historienne, faisant se confronter voire s’affronter diverses périodes brûlantes, plus proches par leurs points de convergence que l’on ne pourrait le penser. Lecture enrichissante qui déborde de cette volonté du partage faisant naître les grands écrivains, Marie COSNAY en fait indéniablement partie. Il est plus que temps que découvrir cette autrice majeure, ce « Comètes et perdrix » sorti en 2021 aux éditions de L’Ogre pourrait en être le prétexte.
(Warren Bismuth)
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