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dimanche 18 décembre 2022

Jack LONDON « Histoires du pays de l’or »

 


Il était inconcevable pour Des Livres Rances de ne pas convoquer Jack LONDON pour le thème du mois, « L’appel du Grand Nord » du challenge « Les classiques c’est fantastique » des blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores , tant cet auteur représente à lui seul LA fabuleuse aventure du grand froid.

Ce recueil propose 14 nouvelles, toutes ont trait directement ou non à la ruée vers l’or à la fin du XIXe siècle vers l’extrême nord-ouest du continent américain (aventures que l’auteur a souvent évoquées dans son œuvre), du côté de Dawson, du Yukon ou encore du Klondike, trois noms qui laissent rêveur. Et pourtant.

Ces nouvelles du Grand Nord sont âpres, sombres, connaissent parfois une fin dramatique ou désabusée. Elles mettent en scène des personnages chers à l’auteur : des taiseux puissants et increvables, animés par une folie, que ce soit l’appât du gain ou la performance, le but étant de se dépasser en toute circonstance. Bien sûr, les chiens représentent une part importante (souvenez-vous de « Croc-Blanc » ou « L’appel de la forêt » entre autres), comme les hommes ils sont instinctifs et bagarreurs, au caractère détrempé et volcanique. Ils luttent incessamment pour leur survie.

Les femmes sont peintes ici avec tendresse et respect. Il a parfois été reproché à Jack LONDON sa misogynie. Ici pourtant ses héroïnes sont faites de puissance, d’autorité, d’émancipation ou en tout cas de volonté de liberté, et peuvent être vues comme des modèles « proto-féministes ». Prenantes, décidées et pugnaces, elles participent aux aventures d’hommes durs à cuire, animées dans ces tranches de vie, de destins souvent tragiques. Lit-Lit par exemple est un personnage exceptionnel, mais elle n’est pas la seule dans ce recueil qui en regorge.

À juste titre, LONDON fut taxé de raciste, défenseur d’une supériorité blanche innée, notamment face à ceux qui sont appelés les Indiens. Pourtant, ici, rien de tout cela. Si l’auteur les montre plus naïfs ou moins complexes que les blancs, c’est pour mieux évoquer leurs rites, leurs croyances ancestrales, leur communion avec la nature, leur compréhension d’un monde spirituel. Car la nature, comme presque toujours chez LONDON, est omniprésente, on doit à l’auteur des pages magiques dans ce recueil varié par ces protagonistes et ces aventures.

« Le cañon ignorait la poussière. Les feuilles et les fleurs y montraient une pureté virginale et l’herbe semblait de velours. Au bord de l’étang, trois peupliers envoyaient dans l’air serein le vol de leurs flocons neigeux. Sur les pentes, le manzanita rampant, tout en fleurs, remplissait l’atmosphère d’un parfum de printemps et ses feuilles prenaient déjà une position verticale, pour se protéger contre l’aridité de la saison d’été. Pas un souffle de vent. Le cerf alangui sommeillait toujours sur place. Pas une mouche ne troublait sa quiétude. Parfois, à un murmure plus accentué de l’eau, il remuait les oreilles mais paresseusement, comme s’il se rendait compte que le ruisseau devenait bavard en s’apercevant qu’il était endormi ».

Dans des conditions de vie rudes voire inhumaines, LONDON crée des caractères très forts, déterminés, dans des tempêtes de neige ou victimes de températures glaciales. Les trahisons sont nombreuses (la ruée vers l’or fut pour l’Homme l’occasion de démontrer sa cupidité), les coups bas pleuvent. Il y a un instinct bestial dans ces personnages ayant perdu tout sens des codes de la société.

LONDON n’écrit pas sans savoir : il a lui-même bien connu cette ruée vers l’or du côté du Klondike et, s’il n’en a pas ramené la moindre once du précieux métal jaune, il est revenu en revanche la tête pleine d’images de la vie là-bas, et ce qu’il met en scène dans les présentes nouvelles est loin de n’être que de la fiction.

Il n’est jamais facile de s’y retrouver dans les recueils de LONDON parus en France. En effet, selon les supports, les recueils originaux sont compilés avec d’autres, selon les traductions les titres changent, elles peuvent être aussi regroupées selon différentes périodes par thème. C’est le cas ici avec 14 titres se déroulant dans le Grand Nord. Ces choix de thèmes sont intéressants, ils montrent bien ce qui hanta l’auteur toute sa vie, les passions qu’il développa, mais aussi ses combats politiques. Fort d’environ 150 nouvelles, il présente bien sûr une imposante palette de sujets, de personnages, d’histoires, mais ces nouvelles-ci sont en quelque sorte la naissance de l’écrivain LONDON (pour certains des titres) tout juste revenu de « sa » ruée vers l’or.

Ces nouvelles ont surtout été écrites entre 1901 et 1904, quand Jack LONDON était encore très jeune mais déjà expérimenté par de nombreux métiers physiques dans lesquels il avait connu la stupidité de l’homme. Ici et comme toujours, il en retire des leçons, politiques et sociales, deux mots qui sont l’essence même de son œuvre. Ici par exemple, le recueil se clôt sur « Miracle dans le grand nord », une dénonciation sans concession de la peine de mort contre laquelle LONDON lutta toute sa vie.

Car LONDON fut un infatigable militant socialiste radical, proche des milieux anarchistes et individualistes, et bien qu’il mourût jeune, il laisse une œuvre considérable par son poids et sa diversité. Et même si ce n’est pas l’arme préférée de l’auteur, ici il sait distillé (à doses homéopathiques certes) un humour grinçant. Ce recueil présenté est un livre numérique traduit par une certaine madame GALARD. Mais chacun des titres peut être lisible sur divers supports papier, dans différentes compilations.

Il ne fait nul doute que LONDON est l’un des précurseurs de ce qu’on a fini par appeler le Nature writing, il magnifie la Nature Sauvage dans sa beauté comme dans sa dangerosité et son hostilité, il la dépeint en connaisseur virtuose, il fut tant suivi ensuite par plusieurs générations d’auteurs – Etats-Uniens notamment – flanqués de la même passion, du même regard, des mêmes engagements. On peut beaucoup lui reprocher, nul n’est parfait en ce monde, mais l’on se doit d’admettre qu’il fut un créateur de premier ordre, que ce soit pour les personnages puissants, sa vision de la nature, son féminisme jurant parfois avec certains personnages féminins qu’il rate complètement par les clichés qu’il véhicule. LONDON fut aussi l’un de ceux qui vécut pleinement son existence, s’épuisant – par l’alcool notamment -, tombant malade, mais fort d’un parcours impressionnant de richesse humaine, il reste aujourd’hui l’un des géants indétrônables de la littérature mondiale.

 (Warren Bismuth)



9 commentaires:

  1. Avec un tel sujet, il paraissait inconcevable que London ne soit pas de la partie ! J'ai lu quelques un de ses romans et c'est à Martin Eden que va ma préférence. Il faudrait que je tente la lecture de ses nouvelles même si c'est un genre qui me plaît moins.
    Merci pour cette nouvelle participation !

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  2. Je n'ai pas beaucoup lu Jack London mais j'ai adhéré et adoré chaque fois. Nul doute que je me régalerai aussi de ses nouvelles. Je suis étonnée qu'il soit notoirement raciste, j'avoue ne pas en avoir trouvé le moindre indice dans ses écrits (ceux que j'ai lus).

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  3. Je me suis dit que quelqu'un allait certainement choisir ce grand écrivain pour la thématique. Alors, je me suis orientée vers un autre... Étonnée aussi de découvrir qu'il était raciste...dommage.

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  4. Superbe chronique ! J'ai malheureusement peu lu cet auteur mais j'ai aimé ce que j'en ai lu. Je veux absolument continuer ma découverte de son oeuvre (avec Martin Eden pour commencer) et grâce à toi je n'excluerai pas ses nouvelles.

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  5. J'avais hésité de me lancer dans la lecture de London. Ton billet de lecture attise ma curiosité au sujet de ce recueil de nouvelles. Je le note dans ma LAL d'autant plus que je suis une amatrice de nouvelles.
    Merci pour ton beau billet.

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  6. (Je n'avais pas vu que je pouvais m'identifier, la honte.)
    J'avais hésité de me lancer dans la lecture de London. Ton billet de lecture attise ma curiosité au sujet de ce recueil de nouvelles. Je le note dans ma LAL d'autant plus que je suis une amatrice de nouvelles.
    Merci pour ton beau billet.

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  7. J'ignorais qu'il avait été taxé de raciste...

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  8. ça fait trèèès longtemps que je n'ai pas lu London, genre depuis le collège, et le souvenir que j'en ai est pour le moins mitigé mais Delphine Bucher, des éditions de la Dernière chance (si tu ne connais pas, fonce) en parle tellement bien que j'ai pour projet de m'y replonger, et te lire enfonce le clou :-) Alors ces nouvelles, pour (re)commencer, pourquoi pas.

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    1. Des Livres Rances8 janvier 2023 à 09:41

      Merci Alice, je ne connais pas cette maison d'édition ! Pour le reste, London m'accompagne ponctuellement depuis maintenant plus de 25 ans, inutile de t'écrire que je le place parmi les géants, une influence certaine !

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