Dans la deuxième partie des années 80, l’activiste naturaliste Terry TEMPEST WILLIAMS apprend que sa mère est atteinte d’un cancer. La plupart des femmes de la famille sont d’ailleurs décédées de cette maladie. Aussi, la vie de Terry est bouleversée. Parallèlement, habitant près du Grand Lac Salé dans l’Utah, elle s’y rend régulièrement pour relever des mesures scientifiques et faire de l’observation, principalement des oiseaux.
Terry TEMPEST WILLIAMS explique en détails les particularités nombreuses du Grand Lac Salé qui en fait un site unique, elle y dénonce aussi les activités humaines qui chamboulent l’équilibre naturel au fil des décennies. Car Terry TEMPEST WILLIAMS est une combattante pour la nature sauvage. Amie de Jim HARRISON, Doug PEACOCK ou Barry LOPEZ, elle lutte contre le désastre en cours.
La profondeur moyenne du Grand Lac Salé est de quatre mètres, c’est dire si c’est peu. Là-bas s’y trouve un refuge, c’est aussi en quelque sorte le propre refuge de Terry pour décompresser alors que sa mère se dégrade de jour en jour. Elle s’inquiète cependant du changement de comportements de la plupart des oiseaux (la liste des espèces – conséquente – présentes sur ce site est dressée en fin de volume) au fur et à mesure de ses observations.
L’évolution du monde de la nature, celui des bêtes à plumes adorées en particulier, est ici consciencieusement, méticuleusement, scientifiquement passée au peigne fin, données à l’appui. Car l’autrice est une vraie professionnelle en même temps qu’une passionnée. Presque par analogie elle constate l’évolution de l’état de santé de sa mère. Ce sont ces deux thèmes qui vont parfaitement cohabiter tout au long de ce récit hybride, entre documentaire nature, document scientifique, récit de vie qui pourrait presque être lu comme un roman.
Certes, les nombreuses allusions de l’autrice à la religion mormone dont elle fait partie (nous sommes tout près de Salt Lake City) peut agacer ou en tout cas ennuyer. Mais toujours elle est suivie par l’un des deux noyaux du récit.
La force de ce texte réside dans l’espoir (« Je pourrais me représenter la chimiothérapie comme un fleuve coulant en moi et emportant avec lui les cellules cancéreuses ») même si une autre membre de la famille est à son tour atteinte d’un cancer. Car l’autrice sait s’éloigner du sujet tragique pour prendre en considération la beauté, la majesté d’un oiseau, tout comme la découverte d’objets archéologiques, autre passion de Terry qui, entre toutes ses activités, travaille dans un musée. Elle développe le mode de vie d’un peuple ancestral, les Fremont, vivant à proximité du Grand Lac Salé : « Quand le lac montaient, ils s’éloignaient. Quand il redescendait, ils se rapprochaient. Leur communauté n’était pas fixée comme la nôtre. Ils suivaient les rivages dans leurs avancées et leurs retraits. C’était le flux et le reflux de leur vie ».
« Refuge » est un texte inclassable car faisant se côtoyer nature sauvage, ornithologie, archéologie, maladie et réactions des proches, et n’est pas du tout aussi incohérent qu’il pourrait paraître. Changement de comportements des espèces animales face à l’activité de l’homme et la destruction des habitats, changement d’état d’esprit d’une famille devant la maladie et la mort prochaine, tout se relie. D’ailleurs, et c’est le grand coup de poing du livre, en épilogue Terry brandit un document à charge : des essaies nucléaires d’envergure ont eu lieu, notamment dans l’Utah, dans les années 1950, il sont la cause directe de la multiplication des cancers dans la région. Et la justice reste aveugle. Ici, c’est à coup sûr un pamphlet anti-nucléaire.
En fin de volume, une partie bonus : que sont devenus les protagonistes du récit ? Rédigée tout juste dix ans après la sortie du livre aux Etats-Unis (paru en 1991), elle est aussi un bilan écologique sur tout ce qui est développé auparavant dans l’ouvrage. Traduit par François HAPPE, ce livre est une espérance en même temps qu’un constat amer sur l’état de notre société. Pour les amoureux des oiseaux, il est une mine d’informations, sorte de bestiaire ornithologique très documenté. Paru en France chez Gallmeister en 2012 dans l’extraordinaire collection Nature writing pour laquelle vous connaissez maintenant mon attachement, il fut réédité en version poche Totem chez le même éditeur l’an dernier, raison de plus pour le redécouvrir.
(Warren
Bismuth)
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