Au fil de son œuvre, Antoine CHOPLIN nous a habitués à délivrer des romans intimistes où souvent la petite histoire rencontre la grande, dans une langue suave et délicate. Ici il se risque à la poésie et le résultat est encore remarquable.
Le livre en lui-même est un exemple d’esthétisme parfait : grand format (haut et large comme une bande dessinée), papier élégant, mise en page soignée, les poèmes de CHOPLIN étant accompagnés de 10 gravures en noir et blanc signées François MOUROTTE. Le tout se lit et se contemple calmement, après avoir admiré la couverture, ouvert les rabats puis le livre entier afin d’en libérer la fresque de François MOUROTTE.
Ici encore, CHOPLIN fait se télescoper la grande et la petite histoires, les gravures de François MOUROTTE pouvant être perçues également comme un gigantesque télescopage d’images de corps, de nature, de déchaînements. Télescopage dans la poésie de CHOPLIN, entre histoire et intimité. Si le texte peut parfois s’avérer obscur, il n‘en reste pas moins que sa musicalité est intense, la perception des mots gifle :
« Jaurès parle à Trump
sans
pouvoir imaginer cet au-delà de surdité
que le siècle a étendu sur les discours »
Car CHOPLIN se dresse contre le fanatisme, l’autoritarisme, il agit en toute liberté, preuve cette absence de ponctuation, juste quelques majuscules ici et là, aucune grandiloquence, son message nous est susurré, quoique avec force et détermination. La littérature est bien sûr invitée par ses tragédies à se rappeler à l’Histoire :
« j’ai
vu aussi le peintre
arracher un morceau de toile
au revers de son
matelas
pour continuer à accomplir son
œuvre
là-bas
depuis la Kolyma
son regard poignardé de
l’intérieur
par le si peu dire de l’incompréhension »
La poésie de CHOPLIN est faussement calme, elle prend par la peau du dos, elle étrangle et donne à réfléchir. Animée par une profonde sonorité, elle convoque la guerre comme la nature, les morts comme les vivants, dénonce le développement du nucléaire, convie la faune et la faune et demande aux humains à se rallier à elle. Les dessins de François MOUROTTE appuient, concrétisent le discours, c’est un livre-tandem. Quand soudain, passage furtif de Fernando PESSOA, le gardeur de troupeaux.
Ce livre splendide en tous points est sorti en 2023 chez les excellents Le Réalgar, dans la singulière collection L’orpiment dirigée par Lionel BOURG. Si le bilan humain de ce recueil n’est guère brillant sous la plume de CHOPLIN et les gravures de MOUROTTE, de petites touches apaisantes donnent à envisager des lendemains qui chantent :
« et
je te dis
combien la vie bat pourtant à
mes tempes
et je te dis
combien je souris
de mes sautillements
adolescents
et je te dis
ce talweg qui s’étire derrière
mes yeux
et que ravine sans fin
ce que je ne parviens pas à nommer »
Car chez CHOPLIN, et avec lui, on aimerait parfois redevenir enfant.
https://lerealgar-editions.fr/
(Warren
Bismuth)
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