Détruisez vos idées toutes faites sur la structure d’un iceberg. Cet essai nous permet de découvrir l’essence même de ces blocs de glace souvent évoqués dans la littérature et les arts en général, ces blocs qui aujourd’hui fondent de manière alarmante. L’auteur, par ailleurs philosophe, nous guide afin de mieux appréhender le désastre en cours.
Si tant est qu’on les observe scrupuleusement, les icebergs prennent la forme de créatures divines ou de bâtiments, d’animaux mythologiques gigantesques, plus globalement de tout ce que l’imagination humaine peut avoir de fertile. Mieux : ils bougent sans cesse, tournent sur eux-mêmes, voguent sur les flots et… accouchent. Olivier REMAUD explique méticuleusement ce phénomène, celui de donner naissance à un nouvel iceberg. S’appuyant sur les découvertes des siècles passés, notamment par le biais de la littérature et des explorateurs, en actualisant la thèse de façon documentée, il conte la vie d’un iceberg et c’est saisissant.
Contrairement à une idée préconçue et répandue, les icebergs n’existent pas que sur mer. En effet, on les trouve aussi dans les glaciers de montagne, eux aussi accouchent et possède une vie. « D’abord, le centre d’un glacier se déplace plus rapidement que ses côtés. Ensuite, sa partie inférieure et ses étendues basses se meuvent plus lentement que sa partie supérieure et ses étendues hautes. Dans un glacier sinueux, c’est en revanche le côté vers la courbe extérieure qui progresse le plus. Enfin, un glacier voyage plus lentement l’hiver que l’été ».
Un iceberg émet des sons qu’il faut savoir étudier et les glaciers évoluant en glace morte ne se régénèrent pas. Ces deux blocs blancs sont le thermomètre du changement climatique, ce sont eux qui nous alertent. L’auteur convoque de nombreux noms passés ou présents diversement spécialistes des icebergs : John MUIR, Elisée RECLUS, Bérangère COURNUT, Mario RIGONI STERN et tant d’autres. C’est avec eux qu’il développe ses idées. Pour l’aspect visuel, il fait indirectement appel aux somptueuses photographies de Camille SEAMAN (allez voir son blog, les clichés y sont de toute beauté).
L’exercice est difficile pour le lecteur ignorant, mais il vaut le coup de persévérer, car devant lui l’iceberg revêt une image mouvante, vivante. Dans un monde où l’anthropocène est encore tout puissant, il n’est pas vain de remarquer qu’une vie peut ne pas prendre les traits que l’humain lui a jusque là imposée. L’ouvrage est certes ardu, technique, mais il révolutionne vos préjugés, vous proposant une nouvelle vision des icebergs et des glaciers. La bibliographie de fin de volume est copieuse, et la postface de Anne-Marie GARAT remarquable et passionnée. De plus en plus en apnée dans cette collection somptueuse qui est Mondes Sauvages de chez Actes sud, je suis comme un jeune novice redécouvrant le monde qui nous entoure, déconstruisant mon parti pris inconscient, observant la nature sous un nouvel angle où la domination humaine n’a plus sa place.
« Penser comme un iceberg » peut être lu comme une biographie des icebergs et des glaciers. Certes, il faudra vous accrocher pour en saisir tout le sens, mais l’expérience est passionnante et utile dans un monde semblant aujourd’hui à bout de forces. Elle montre que les icebergs, les glaciers sont notre mémoire collective car ils contiennent de rares et précieuses informations sur le monde de naguère, remontant le fil des siècles et même des millénaires. Ils sont les gardiens en même temps que les lanceurs d’alerte et les historiens de notre planète dans son intégralité.
Ce livre est paru en 2020. La version poche que je me suis procurée est récemment sortie. Je me permets à ce propos une remarque : la minuscule police de caractères m’a rendu la lecture particulièrement difficile, ma presbytie ne remerciant pas le choix de la taille. De plus, mon ouvrage, neuf, s’est vu rapidement amputé des pages 18 à 30, comme une glace fondant en direct, un glacier perdant des blocs entiers. Il est vrai que de plus en plus, les éditeurs tirent sur la corde et imposent des livres de moindre qualité pour un coût moins élevé. Cette technique n’est pas judicieuse, elle rend l’ouvrage fragile et en fait un produit de consommation courante à l’obsolescence physique quasi instantanée. Aussi, si vos finances vous le permettent, optez pour la version grand format de cet essai. En plus vos yeux vous remercieront.
« Les glaciers sont les archives du passé, de véritables bibliothèques à ciel ouvert. Leurs cristaux de glace cachent des richesses infinies : des strates de poussière, des bulles de gaz, des isotopes d’oxygène. Certains « carottages » de calottes en Antarctique remontent des signatures chimiques vieilles de plus de huit cent mille ans. Les échantillons prélevés au moyen de grands tubes métalliques abritent les témoignages d’événements antiques. La communauté scientifique les date sur une échelle de temps long : une éruption volcanique s’est produite quelques millénaires plus tôt, les nuages avaient telle température au moment où les flocons de neige sont tombés puis se sont cristallisés. Les cristaux contiennent les vestiges de l’ancienne atmosphère. Le ciel est dans la glace. C’est la raison pour laquelle la disparition progressive des étendues glaciaires rend l’humanité chaque jour un peu plus amnésique. Nous perdons notre propre mémoire. Et le présent lui-même s’efface sous nos yeux ».
(Warren
Bismuth)
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