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dimanche 23 juin 2024

Hermann HESSE « Le loup des steppes »

 


Pour le présent mois, les blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores nous ont concoctés un petit défi pas piqué des hannetons dans le cadre du challenge « Les classiques c’est fantastique ». Mordez plutôt le tableau : « Tout plaquer – solitude, isolement, introspection ». Rien que ça. J’aurais pu jouer la facilité et vous sortir de derrière les fagots un Simenon, l’auteur par excellence, celui qui illustre peut-être le mieux ce thème tout au long de son œuvre. Mais j’ai préféré la difficulté, celle de sortir de ma pile un livre que je n’avais toujours pas ouvert, « Le loup des steppes » de l’allemand (puis suisse) Hermann Hesse.

Harry Haller déambule dans les rues d’une ville lorsqu’il aperçoit un théâtre : le « Théâtre magique réservé aux insensés ». Puis un homme s’approche et lui remet une brochure : « Traité sur le Loup des steppes – Réservé aux insensés ». Haller est un homme errant, déçu par la vie, par les hommes, et prêt à vivre en ermite loin du monde dans une solitude totale, une existence choisie. Cependant il daigne lire la brochure, c’est le choc. Toute sa vie, ses valeurs, ses convictions semblent être imprimées dans ces quelques pages.

La suite du récit s’articule autour des idées et de la philosophie de vie contenues dans cette brochure. Haller y a lu son double en quelque sorte. « Rien ne lui semblait plus détestable et effrayant que de devenir un employé, que de devoir respecter un emploi du temps journalier, annuel, et obéir à d’autres. Un bureau, une étude, un service administratif lui inspiraient autant d’horreurs que la mort et rien ne pouvait lui arriver de plus terrible en rêve que d’être enfermé dans une caserne ». Car Haller est un désenchanté, suicidaire et misanthrope. Il s’est en partie retiré du monde, de son effervescence, de sa médiocrité. C’est la rencontre avec une jeune femme, Hermine, qui va bouleverser son existence. Haller s’aplatit devant elle, obéit à tous ses caprices, se soumet avec consentement voire masochisme. Hermine va lui présenter d’autres femmes, lui demander de les aimer à leur tour, de les choyer. Haller pourrait bien être près de faire le bien.

« Le loup des steppes » est un récit à tiroirs, du moins pour ses personnages. Haller peut être un double de Hesse (mêmes initiales), mais Hermine est le dérivé de Hermann, le prénom de l’auteur, donc possiblement un autre double. D’autres protagonistes encore pourraient lui ressembler. D’ailleurs l’un d’eux, qu’il croise dans des sortes de crises oniriques, se prénomme Hermann. Ce live peut être lu comme un fantasme, une volonté d’absolu, tout comme une autobiographie partielle, mais aussi comme un récit en partie historique avec l’irrémédiable montée du nazisme (il fut rédigé en 1927).

Haller imagine le refuge de la vie par la grande musique, par les écrits de Goethe également. Il commence à assister puis participer à des soirées, entraîné tout d’abord par Hermine puis par d’autres femmes. Dans des scènes oniriques, fantastiques, floues, il va s’entretenir avec Goethe, puis Mozart, son héros. De pacifiste convaincu, il va peu à peu voir évoluer ses convictions dans un cheminement initiatique où la drogue pourrait bien jouer un rôle (n’oublions pas que le livre était culte pour les premiers mouvements hippies). « Les idéaux sont-ils faits pour être atteints ? » C’est peut-être la question centrale du livre, entre philosophie, métaphysique et pratique d’une vie que l’on n’a pas forcément désirée.

Dans sa misanthropie, Haller peine à se défaire néanmoins de ses racines bourgeoises, qu’il entretient, alors que la brochure qu’on lui a remis épingle sans concessions le mode de vie bourgeois. Haller devient cet être ambivalent, entre velléités et réalité, idéaux et difficulté de les mettre en pratique. D’ailleurs lui le pacifiste, le non-violent, se met tout à coup à attaquer des automobilistes dans des scènes tout à fait décalées du reste du ton de l’ouvrage, un peu tombées comme un cheveu, voire la perruque entière sur la soupe.

« Le loup des steppes » est un récit inclassable, entre philosophie, essai aux racines introspectives, volonté de solitude et vie dense faite de rencontres initiatives, le rôle de la musique, de l’art y est primordial. Récit d’un auteur en partie oublié, entre aigreur et découvertes, intimisme et globalité (celle de l’ascension des nationalismes en Europe). Le style est très (trop ?) classique, l’auteur ne s’autorisant pas à errer dans les chemins sur la forme. L’humour est vu comme un choix salvateur, pourtant le récit en est dénué.

Plus ambitieux sur le fond, où l’homosexualité est évoquée, il convoque des sujets originaux et sans doute d’une grande modernité pour leur époque. Les passages oniriques ne m’ont cependant pas convaincu, ils me paraissent un peu « faciles », et le message, bien reçu dès les premières dizaines de pages, bégaie par la suite, enfonce des clous déjà fort bien chevillés par l’auteur même. Un roman dans lequel il est difficile de se placer, pour lequel il n’est pas aisé d’entrevoir une conclusion ou un message. Il est déstabilisant, d’autant qu’il peut apparaître qu’une partie du discours a été émise en début de volume dans les 35 pages du « Traité sur le Loup des steppes », sans conteste l’élément majeur de l’œuvre, son paroxysme. « Le loup des steppes » aura très bientôt 100 ans, il a peut-être pris un petit coup de vieux mais sa lecture en reste enrichissante.

(Warren Bismuth)



2 commentaires:

  1. Virginie Vertigo23 juin 2024 à 21:47

    J’adore ce livre. C’est vrai qu’il a par moment un petit côté suranné mais, comme tu le dis, il est très riche.

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