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mercredi 5 juin 2024

Michèle PEDINIELLI « Boccanera »

 


Certaines périodes de la vie sont propices à la lecture de polars, pour un lâcher prise salutaire. Se vider la tête, souffler. Le roman de Michèle Pedinielli tombait à pic. Il est le premier d’une série en cours qui possède quatre tomes au moment où j’écris.

Ghjulia Boccarena est une détective privée (mais pas privée d’humour) au sang en partie corse et en partie italien, approchant la cinquantaine, accroc au café, Doc Martens huit trous aux pieds, une certaine tendance à l’insomnie, et amoureuse de ce Nice qu’elle habite. Un homme brillant, Mauro Giannini vient d’être assassiné par strangulation. Ghjulia est engagée par son petit ami plombier (l’homme était homosexuel) pour éclaircir l’affaire. Seulement le futur mari, ancien travesti de scène, est à son tour défuncté, de la même manière que Mauro. Faut-il s’orienter vers les milieux anti-gays du genre de la manif pour tous ou des jeunesses identitaires ?

Ghjulia entre en contact avec son ancien compagnon, Jo, un flic avec lequel les relations sont toujours courtoises. Il va lui livrer des éléments essentiels pour la poursuite de l’enquête.

Le premier tome de cette série en cours plante le décor. La détective privée est une femme moderne, décomplexée, qui joue de l’humour comme d’une carte de visite. Elle lit beaucoup les enquêtes du shérif Longmire, le héros de Craig Johnson, et ce doit être le cas également pour l’autrice, qui digère l’influence en ne gardant que le côté cocasse et l’air détaché et parfois un peu ours du shérif du Wyoming par l’entremise de sa Ghjulia, solitaire et marquée par la vie.

Mais attention, ce polar n’est pas une copie ni une caricature, il sait se faire engagé et féministe. « Concevoir, me reproduire, perpétuer l’espèce… Faire un enfant. Ni en adopter un. Jamais. J’aime les enfants, les enfants des autres, tous les enfants de la terre. Mais je ne me suis jamais sentie en droit ni en capacité de devenir mère. C’est un sentiment que j’ai toujours réussi à expliquer et défendre fermement, face à mes copines et même à mes parents ».

Dans ce roman dynamique et raconté au présent par la narratrice-détective, il est aussi question des migrants qui viennent d’Italie, de leur désoeuvrement. Car c’est un polar social, y compris dans ses descriptions de caïds niçois. Nice est d’ailleurs un peu la vedette ici, arpentée et analysée par une autrice qui sait de quoi elle parle. Sans être précisément machiavélique, l’intrigue est solide, les personnages décalés (ah, le mendigot allemand muet !) font partie de la recette. Certes se succèdent quelques solutions de facilité, notamment ces nombreux morts, quand on ne sait pas trop, semble-t-il, comment les incorporer plus activement à l’affaire. Le zigouillage systématique en somme.

« Boccanera » est un bon moment de lecture même si, comme la plupart des polars ou romans noirs, il pêche parfois par ses clichés. D’accord, l’héroïne est féministe et engagée, mais elle n’évite pas les réflexes un peu lourds sur le physique des mecs, types forcément intéressants car beaux, du sexisme inversé en quelque sorte, qui peut déranger voire exaspérer. Quant à la seule scène de sexe, inutile, elle est également assez ratée (pourquoi doit-on ajouter une scène de cul dès que l’on crée un roman noir, comme pour respecter un cahier des (dé)charges ?). Mais ne pleurons pas, ce premier volet se déroule de manière probante et pied au plancher. Michèle Pedinielli est rédactrice au sein de Retronews, un site d’archives de presse de la B.N.F. que je vous recommande chaudement, tout comme je vous recommande les podcasts « Séries noires à la une » issus aussi de Retronews, de très grandes réussites sonores (même s’ils semblent actuellement en pause). « Boccanera » est sorti en 2018 aux éditions de L’aube.

https://editionsdelaube.fr/

(Warren Bismuth)

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